MESSAGE DES ÉVÊQUES DE CENTRAFRIQUE : JUIN 2022
mardi 28 juin 2022
À L’ÉGLISE FAMILLE DE DIEU AUX HOMMES ET AUX FEMMES DE BONNE VOLONTÉ POUR UNE ÉGLISE SYNODALE
Chers frères et sœurs en Christ et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté, épris de bonté, de justice et de paix, à vous tous, grâce et paix de la part de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus-Christ. Réunis en Assemblée plénière à Bambari du 20 au 27 juin 2022, nous, Évêques de Centrafrique, avons prié et échangé sur la marche synodale de nos diocèses ainsi que sur les différentes situations humanitaires et sécuritaires, éducatives et socio-économiques qui déterminent et rythment la vie de nos fidèles et concitoyens.
Lors de notre message du 14 janvier 2022, nous nous sommes attelés à montrer combien le paradigme de la synodalité, celui de marcher 3 ensemble avec et malgré nos différences, peut inspirer de manière significative la marche de notre pays. Enlisé au cœur d’une exacerbation de tensions diplomatiques et géopolitiques, notre pays est confronté tout à la fois à une crise de valeurs morales fondamentales et civiques et à une déliquescence du système éducatif. Il vit encore une nouvelle forme de crise d’unité autour du dialogue républicain comme marche vers la paix à construire.
Contexte sociopolitique du Pays
Si une avancée significative en vue d’un retour à la paix sur toute l’étendue du territoire est constatée et doit être saluée, il n’en demeure pas moins que certaines zones et contrées de notre pays sont encore en prise, sinon sous le contrôle des groupes armés qui sévissent et maltraitent la population. L’insuffisance de moyens et équipements adéquats défavorisent nos militaires dans leur capacité à défendre le peuple. Cette présence calamiteuse des groupes armés est source de paralysie. Ce qui empêche les populations de vaquer à leurs occupations. La libre circulation des biens et des personnes est lourdement entravée. Les écoles et les établissements publics ne fonctionnent pas normalement. Les autorités politiques et administratives désertent leur poste d’affectation ou refusent de s’y rendre. Dans certaines villes, une crise alimentaire est à craindre en raison des destructions des champs et des vols de bœufs.
De nouveaux points d’attention, en ce qui concerne la situation actuelle de notre pays, ne devraient pas être occultés et passés sous silence. Des velléités autour de la révision constitutionnelle pendant et au sortir du Dialogue Républicain ainsi que la question de la crypto monnaie sont aujourd’hui source d’inquiétudes et de préoccupations. A ce lot, s’ajoute la pénurie du carburant qu’endure déjà très difficilement le pays. Elle paralyse de manière générale la vie socio-économique. Elle provoque une flambée vertigineuse des prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité avec une rupture des stocks. La vie sociale fonctionne aujourd’hui au rythme de capacité d’approvisionnement avec cette longue file d’attente de véhicules assortie parfois de regrettables scènes de violences. Dans nos centres hospitaliers, il est à craindre une augmentation de décès et un déficit de prise en charge en urgence et des malades.
Par ailleurs, dans la marche des peuples et du monde, la République Centrafricaine n’évolue pas en autarcie. Elle subit, comme les autres pays du monde, les soubresauts de la crise ukrainienne. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine et la présence des forces russes engagées au côté des Rwandais et des Forces Armées Centrafricaines (FACA) pour la reconquête de toute l’étendue du territoire national et pour la pacification de la République Centrafricaine, placent aujourd’hui notre pays au niveau de la diplomatie internationale dans une position assez délicate.
Marqués par l’expérience des troubles militaro-politiques, nous rappelons que la guerre en Ukraine est intolérable et nous appelons les deux parties en conflit ainsi que leurs alliés à l’arrêt immédiat des combats, afin de privilégier la voie du dialogue pour une paix effective. La guerre signifie destruction humaine et matérielle, exactions, viols et violation des droits humains, des biens, des lieux de culte et instrumentalisation des convictions religieuses. Quand on en a fait une expérience, on ne peut souhaiter cette horreur à aucun peuple.
Nous encourageons le gouvernement de notre pays à ne ménager aucun effort pour chercher et trouver des solutions afin de soulager les souffrances de notre peuple.
C’est dans une telle situation de notre pays et du monde, complexe et difficile, que nous, chrétiens, sommes appelés au discernement, à marcher en présence et dans la lumière du Seigneur, à confesser notre foi, à vivre et à témoigner de manière fondamentale l’espérance d’une Église synodale sous le signe de la communion, de la participation et de la mission.
La Communion synodale et ses fruits
La large consultation voulue par le Saint Père a permis de libérer la parole et de recueillir des fruits susceptibles de concourir à la consolidation d’une Église appelée à redécouvrir et à prendre le chemin de la synodalité. Des échanges fructueux avec nos frères et sœurs protestants et musulmans nous ont permis de mesurer combien l’œcuménisme et le dialogue interreligieux ont un avenir très prometteur dans notre pays.
Les larges consultations diocésaines des fidèles laïcs du Christ et des personnes qui n’ont aucune obédience religieuse manifestent le courage et l’amour de la vérité d’une Église appelée à se renouveler. Celles-ci ont permis de mettre à nu les forces et les différentes entraves à la communion, à la participation et à la mission. Ces entraves sont autant de points d’attention, de défis et de chantiers que notre Église ne saurait ignorer si elle veut vraiment être une Église synodale. Le processus synodal a permis aussi à notre Église d’être plus sensible au mal-être profond des faibles, des petits et des marginalisés. Dans cette catégorie, on rencontre les pauvres, les orphelins, les veufs (-ves), les pygmées et les peuhls, les prisonniers, les enfants de la rue, les prostituées, les filles-mères, les chômeurs, les malades mentaux et ceux atteints du VIH SIDA, les personnes du troisième âge, les handicapés, les personnes accusées de sorcellerie, etc. Ceux-ci se considèrent davantage comme objets et destinataires d’actes de charité et d’aides multiples et en sont profondément reconnaissants. Cependant, ils se sentent parfois exclus du cercle de prise de parole. Ce sentiment est aussi partagé par les personnes qui vivent des situations irrégulières comme les polygames, les concubins, les divorcés-remariés, etc.
Quand bien même ils vivent la non-accessibilité aux sacrements comme un drame et un véritable frein à la croissance de leur vie spirituelle, en revanche, la stigmatisation dont ils sont victimes est source de démotivation.
Face à ces situations de souffrances, notre Église est appelée à développer et à promouvoir davantage une pastorale d’accueil et de compassion, de proximité et d’accompagnement. En effet, le premier regard que pose le Christ sur les pauvres, les malades et les opprimés, les rebuts de société et les laissés-pour-compte est un regard de compassion (cf. Lc 4,18-19).
A la suite de la mission du Christ, l’Église ne peut donc pas être assimilée à une Organisation Non-Gouvernementale (ONG) humanitaire. Nous invitons les Communautés Ecclésiales de Base (CEB), les mouvements et les fraternités, les différentes structures diocésaines à repenser leur mode d’être et de fonctionnement. Ainsi deviendront-ils davantage de véritables lieux de communion et de compassion, d’amour et d’écoute des pauvres, d’accompagnement des personnes vivant des situations de souffrances et de réintégration des marginalisés et des laissés pour compte.
Le sentiment d’exclusion de ces différentes catégories sociales de la sphère de la prise de parole révèle, en partie, au grand jour les différents dysfonctionnements dans le mode de gouvernement et de la gestion de l’autorité dans l’Église.
Pour une meilleure participation à la gestion ecclésiale de l’autorité
Les larges consultations confirment, au niveau des curies diocésaines et des paroisses, l’existence de différents conseils qui aident au gouvernement de l’Église. Cependant, plusieurs comportements ont été identifiés comme des obstacles à la synodalité. L’autoritarisme, le cléricalisme ainsi que les clivages au sein du presbyterium n’en sont, entre autres, que de tristes expressions.
Dans le rapport des laïcs aux clercs, nombreux sont ceux qui considèrent que leurs avis ne sont pas pris en compte en ce qui concerne la vie et la marche de l’Église. Les communautés paroissiales et ecclésiales courent ainsi le risque d’une bipolarité entre d’un côté les « décideurs et donneurs d’ordres » et de l’autre ceux qui doivent obéir et exécuter les ordres donnés.
Entre les laïcs eux-mêmes, la gestion de l’autorité dans les mouvements et fraternités n’est pas exempte de tout abus. Les élections et renouvellements des bureaux paroissiaux, diocésains et nationaux, prennent parfois l’allure d’une campagne politique avec des trafics d’influence. Des haines, des jalousies, des querelles, des convoitises alimentées par la soif du pouvoir et l’appât du gain mettent en péril la communion et la participation et corrompent la responsabilité et la mission que le Christ nous a confiées. Il est donc urgent de se former en synodalité. Cela nous oblige à prendre le chemin de la conversion et à redécouvrir le sens évangélique et chrétien de l’autorité en tant que service comme nous l’enseigne le Christ : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé » (Mt 23, 11-12).
Nous encourageons les clercs et les laïcs à une participation commune pour la promotion d’un véritable cadre de fraternité chrétienne. Les prêtres, du fait de leur charge, sont appelés à témoigner plus de sollicitude pastorale, à être à l’écoute du sens de la foi des laïcs et à respecter la dignité de leur charisme et ministère. Dans le mode de gouvernement, nous recommandons de privilégier la méthode consultative et ecclésiale pour une plus grande efficacité des différents organes de participation. Les mouvements et les fraternités ainsi que les CEB sont des organes de charité et de service. Aux uns et aux autres, nous rappelons ce conseil de Saint Paul : « Ne vous conformez pas au monde actuel, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence afin de discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Rm 12, 2).
La mission : un appel à une évangélisation en profondeur
Les diverses synthèses des diocèses ont révélé quelques défis et chantiers autour desquels devront être élaborés des programmes pastoraux. Les sessions synodales diocésaines et les larges consultations ont permis de mettre en lumière des difficultés non négligeables dans l’enracinement de l’Évangile dans nos cultures. Certaines croyances, coutumes et pratiques de nos traditions centrafricaines sont encore profondément ancrées en nous qu’elles nous empêchent de nous laisser transformer entièrement par la puissance de l’Évangile et de vivre authentiquement la foi chrétienne. Nous pouvons mentionner entre autres le poids des lois coutumières liées au mariage, le syncrétisme, les accusations de sorcellerie, etc. Toutefois, notre Église gagnerait à promouvoir davantage certaines de nos valeurs culturelles et anthropologiques telles que l’hospitalité, la solidarité et le partage, le sens de la famille et de la communauté ainsi que l’aide non-négligeable de la pharmacopée.
La marche d’ensemble du synode ne saurait ignorer les limites de celle de notre pays et de notre nation. La culture de l’inimitié, les campagnes de dénigrement, les dissensions et les divergences entre les partis politiques, la perte du sens du bien commun, le non-respect des idéaux et des valeurs fondamentaux de notre nation, fragilisent aujourd’hui la cohésion sociale et nous empêchent de mutualiser nos forces pour promouvoir les intérêts suprêmes de la nation. Nous invitons chaque baptisé à être un véritable artisan du synode et à répandre ses fruits dans son milieu de vie. Marcher ensemble, en effet, c’est promouvoir une culture et une civilisation de la paix et de l’amour qui triomphe de la haine, de la jalousie et de la peur de l’autre. Nous exhortons la communauté chrétienne à capitaliser les acquis de cette démarche synodale afin de promouvoir, sous l’action et avec la grâce de l’Esprit Saint, des valeurs justes et appropriées pour notre Eglise et pour notre pays.
Puisse le Seigneur, par l’intercession de la Bienheureuse et Très Sainte Vierge Marie, bénir son Église en terre centrafricaine et qu’il fasse briller sur elle la lumière de sa face.
Signé par les neuf évêques de Centrafrique.