LETTRE DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE AUX COMMUNAUTÉS CATHOLIQUES DU CONGO : MAI 1973
lundi 3 août 2020
1. Les Évêques du Congo, dans la Conférence annuelle qui les a réunis du 17 au 21 Mai 1973 à Brazzaville, ont étudié entre autres, un problème grave, celui du prêtre congolais, les conditions de son apostolat, sa place dans l’Église et la société congolaise.
2. La situation matérielle anormale où il se trouve, a retenu spécialement leur attention et ont décidé d’y porter remède. Jusqu’à, il y a quelques années, les prêtres congolais en effet, vivaient en général dans les missions avec leurs confrères missionnaires, ils étaient encore peu nombreux. Si cette situation présentait déjà certaines difficultés, l’essentiel de la vie matérielle était toutefois assuré.
3. Grâce à Dieu, le nombre des prêtres Congolais augmente, et ils ont été amenés à prendre la responsabilité des paroisses dans lesquelles ils doivent vivre. Si le niveau de vie matérielle de la population augmente, beaucoup de missions ou paroisses ont vu diminuer ou disparaître les petites sources de revenus, (ateliers, industries), qu’elles avaient.
La situation matérielle de vie du prêtre se dégrade de plus en plus, et il arrive même que certains prêtres n’ont même pas le minimum vital pour vivre décemment, et remplir les charges de leur ministère. Les jeunes qui désirent le sacerdoce regardent cette situation avec inquiétude et hésitent à s’engager dans une voie qui leur semble manquer du minimum de sécurité matérielle.
4. Si les Évêques ont voulu, étudier spécialement le problème, c’est parce qu’ils sont les responsables de toute la communauté, mais ils affirment hautement que c’est tout le peuple de Dieu, toute la communauté chrétienne qui est concernée par ce problème. Ce n’est pas de l’étranger qu’il faut attendre l’aide nécessaire, mais de nous-mêmes. Ce sont les Diocèses eux-mêmes qui doivent pourvoir à une juste et suffisante rétribution des prêtres qui sont à plein temps au service des paroisses. C’est là un des premiers devoirs de justice des chrétiens.
5. Les prêtres, eux-mêmes, savent que - en suivant l’appel du Christ qui les a conduits au sacerdoce - ils acceptent les conseils de Jésus à celui qui veut le suivre Ils ne veulent pas prétendre à une situation matérielle semblable à celles de leurs camarades ayant le même niveau d’études qu’eux. Mais ils ont le droit de vivre et de travailler dans des conditions normales, et les chrétiens doivent leur assurer ces conditions.
6. Les Évêques seuls ne peuvent rien, les ressources diocésaines sont actuellement insuffisantes pour leur permettre de remplir ce devoir. C’est pourquoi ils ont décidé qu’au niveau de chaque Diocèse une caisse sera constituée pour verser à chaque prêtre diocésain une rémunération régulière. Toutes les paroisses et missions devront y contribuer, selon un montant qui sera fixé par l’Évêque et son conseil, et qui variera suivant les ressources des paroisses. Et ce sera aux prêtres et aux laïcs de chacune des paroisses à étudier ensemble, au sein du conseil paroissial, la façon dont cette somme sera recueillie auprès des chrétiens pour être transmise à l’Évêché.
7. Il faut que cette décision importante soit bien comprise par tous les prêtres et par les chrétiens. Si jusqu’ici les paroisses ont pu vivre, en partie, de dons de l’extérieur, il faut absolument que les communautés prennent leurs propres responsabilités, même sur ce plan, et que les Évêques qui ont pris cette décision soient en mesure de la mettre en application le plus tôt possible.
8. Cette décision fera donc l’objet, dans chaque Diocèse d’une campagne d’explication, afin que tous les chrétiens puissent se faire une idée claire de leur devoir sur ce point. Les Évêques regardent cet avenir avec confiance, sachant que même sur ces questions matérielles, le Seigneur, comme un bon Père, ne peut abandonner ses enfants, spécialement ceux qu’il a choisis pour être les guides et les porteurs.
I. LE PRÊTRE CONGOLAIS ET LE TRAVAIL SALARIE
9. Le problème du travail salarié est posé par le prêtre congolais. Cependant les avis sont diversifiés. Pour un grand nombre, le prêtre doit se consacrer entièrement au ministère. Il ne doit pas perdre sa disponibilité et réduire son ministère. Un engagement à travailler n’est pas une question uniquement personnelle ; elle touche la communauté chrétienne et toute l’Église du Congo.
10. Le danger serait de créer un clergé congolais, trop peu nombreux, qui travaillerait, et un clergé missionnaire étranger qui se consacrerait entièrement au travail apostolique. D’autre part, une tentation serait de cumuler des sources de revenus ; l’argent peut devenir un mauvais maître ; il peut créer des ennuis de la part de la famille. Enfin, le travail impose un horaire, des déplacements et un engagement social (syndical ou politique).
11. Plusieurs n’excluent pas la possibilité du travail salarié s’il est accompli dans une option apostolique et de construction nationale. Dans une équipe sacerdotale de 3, 4 prêtres, l’un d’entre eux pourrait travailler pour subvenir aux besoins de la communauté. Tel prêtre peut être amené à travailler.
Une telle décision ne devrait pas se faire sans l’accord de l’Évêque (et peut-être de la communauté chrétienne). Quelques-uns désirent le travail salarié. Cet engagement les aiderait à vivre matériellement, à mieux connaître les problèmes du travail et à porter le témoignage de leur foi dans le monde du travail.
II. ORIENTATIONS DE LA CEC
12. Certains pensent que le prêtre pourrait travailler afin de subvenir à ses propres besoins. Tout d’abord, nous faisons remarquer que le travail salarié, manuel ou intellectuel, est compatible avec le sacerdoce. Le travail peut être un lien entre le prêtre et la masse des travailleurs, un moyen d’apostolat. Envisagé sous cet angle, le travail salarié est possible.
13. Mais nous ne devons pas oublier que les prêtres qui s’adonnent au travail salarié ne remplissent plus leur ministère à plein temps. Le nombre de prêtres congolais dans nos Diocèses est très insuffisant. Et si nous voulons être fidèles à l’esprit de Kampala, les organismes de direction et de conception devraient être l’affaire des fils du pays. Comment pourrions-nous encore répondre à cet objectif si le travail salarié devenait, en quelque sorte, un idéal du prêtre congolais ?
14. Nous craignons que les prêtres, en exerçant une activité rémunérée, ne s’accaparent des emplois que des laïcs pourraient exercer. Ce faisant, n’introduirions-nous pas un malaise dans la société ? Les prêtres congolais n’auraient-ils pas oublié de former les laïcs capables d’assumer leur rôle de missionnaires dans leur milieu de travail ? Il serait bon, ça nous semble - et ici nous nous adressons à tous les prêtres de nos Diocèses, de l’étranger et congolais - de former des hommes et femmes, afin qu’ils deviennent les apôtres de leur milieu.
15. Il peut se trouver des situations exceptionnelles où le travail salarié du prêtre s’avère utile ou nécessaire. Au cas où une telle situation serait envisagée, le prêtre n’entreprendra aucune démarche sans l’accord de son Évêque.
16. Nos compatriotes nous demandent souvent ce que nous faisons pour le pays. Tout travail apostolique est pour le pays. Outre les ministères, nous avons des religieux, des religieuses et des prêtres qui travaillent au service des organismes d’État (enseignement, santé, développement du pays, etc.…) ; nous aimerions que cette forme de travail ait un visage d’Église. Chaque prêtre, religieux, religieuse travaillant quelque part, le fera au nom de l’Église, son mérite ne sera que plus grand.
III. QUESTIONS DIVERSES
Formation permanente des Prêtres
17. La formation permanente du Clergé est ressentie partout comme une nécessité. L’impulsion donnée aux sciences théologiques par Vatican II ne cesse de s’amplifier. Le prêtre congolais ne peut rester étranger à ce renouvellement de l’Église Universelle ; c’est, au fond, une question de fidélité à l’Église. Les prêtres de l’étranger se rangent de plus en plus à l’idée de recyclage ; ils disposent de nombreuses possibilités dans leur pays d’origine. Et le prêtre congolais ? Faut-il qu’il soit défavorisé ?
18. Trop facilement nous sommes tentés de nous rabattre sur l’Europe ou de faire appel à des gens compétents de ce même continent. Mais cette manière de faire ne développe pas notre Église au Congo et en Afrique ; elle met en veilleuse nos propres capacités et possibilités ; elle nous garde dans une dépendance constante.
19. Nous aimerions que le prêtre congolais ait, lui aussi, toutes les chances de pouvoir continuer à se former dans son pays ou ailleurs. Déjà nous avons pris quelques initiatives dans notre pays ; mais ces premières réalisations demeurent insuffisantes.
Comme le personnel compétent - pour assurer la formation permanente des prêtres - est insuffisant dans un seul pays, d’autant plus qu’il se trouve déjà surchargé, ne serait-il pas bon d’organiser cette formation au niveau de l’Afrique Équatoriale et du Cameroun, en faisant appel à toutes les personnes compétentes de ces États ?
20. On verrait bien se constituer une équipe inter-états qui essaierait d’abord de penser à la formation permanente des prêtres pour toute l’Église en Afrique Équatoriale et du Cameroun ; elle pourrai : par exemple, établir un programme, inventorier les personnes compétentes pour les différentes matières, constituer des équipes de travail, prévoir des sessions.
Nous pensons que cette mobilisation de forces vives aboutirait aussi à des recherches et des travaux en commun qui seraient si profitables au développement de nos Églises. Un tel projet dépasse les limites de la Conférence Épiscopale du Congo ; il pourrait être porté à la connaissance des autres Conférences Épiscopales de l’Afrique Centrale.
Recrutement
21. Assurer les ministères dans les communautés, afin que les chrétiens ne manquent pas de tout ce qu’il faut pour leur bien spirituel, est une nécessité Pouvons-nous dire que nos communautés disposent suffisamment de ministres ? Le nombre de prêtres congolais est encore très restreint ; le rythme des ordinations sacerdotales ne s’accélère pas, les prêtres de l’étranger vont en diminuant. Comment préparer l’avenir ?
Nous avons à tout mettre en œuvre afin de pourvoir nos communautés de ministres. Il y a différentes possibilités ou voies de recrutement. Les séminaires ont fait leurs preuves ; ils gardent leur raison d’être et leur utilité. Aux responsables de voir comment adapter ces maisons de formation aux temps nouveaux.
22. Une autre voie est celle de suivre les jeunes dans les paroisses ou missions. Il serait bon que dans chaque Diocèse il y ait un responsable des vocations de « la diaspora », qui penserait toute l’affaire de ces candidats au sacerdoce. Il se tiendrait en relation avec les prêtres de la paroisse, les commissions de différentes communautés, afin d’assurer en collaboration avec eux, la formation de ceux qui ont un projet sacerdotal.
23. Enfin, une troisième voie nous est offerte par l’Église, plus limitée certes, mais qui sera déjà d’un grand secours : la possibilité « d’instituer aux ministères » de lecteurs et d’acolytes, des laïcs éprouvés et capables, et la possibilité de l’ordination de diacres, mariés ou non. En mettant tout en œuvre, notre Église ne devrait pas manquer de ministres, et notamment de ministres congolais. Les Évêques demandent que toutes les communautés prient chaque dimanche pour les vocations, spécialement au cours de la prière universelle.
IV. QUESTIONS ANNEXES AU RAPPORT SUR LE PRÊTRE CONGOLAIS
La situation matérielle des grands Séminaristes
24. La difficulté ne porte pas sur le logement ou la nourriture. Le séminariste reconnaît qu’à ce point de vue, il est favorisé. La difficulté concerne ce qu’on nomme « argent de poche ». En effet, il revient à la charge du séminariste : les affaires de toilette, l’habillement, les fournitures scolaires (stylos, cahiers ou classeurs, etc.…), les livres personnels, le moyen de locomotion (plus l’entretien, l’essence, les réparations) ; il se présente des cas où le grand séminariste se voit obligé d’aider sa mère ou la parenté en détresse.
25. Or, le séminariste ne dispose d’aucun revenu ; les bienfaiteurs sont rares inexistants, pour la plupart. Le séminariste se voit obligé de quémander, ce qui répugne pour la plupart, à un certain âge, blesse la dignité et place dans une situation d’insécurité et de dépendance trop forte. Le séminariste ne manquera pas de faire comparaison avec les étudiants qui, eux, disposent de 22000 francs CFA environ par mois : nourriture et logement n’épuisent pas cette somme.
Nous avons essayé de remédier à cette situation, tant bien que mal, par une caisse commune. Maintenant le système de caisse commune, alimentée par des dons, ne suffit plus et ne répond pas à toutes les aspirations légitimes des jeunes. Quelle solution proposer ?
26. Si l’on veut tenir compte de tous les impératifs : pauvreté évangélique, difficultés financières des Diocèses, éducation à l’argent, esprit de partage, contribution personnelle, diversité des besoins selon les séminaristes, il n’est pas aisé de trouver une solution. Peut-être la meilleure serait-elle de donner à chaque séminariste, par mois, la somme de 10.000 frs.
Cette somme modique sortirait le séminariste de l’état de quémandeur, permettrait de couvrir les besoins les plus urgents, répondrait aux aspirations légitimes de dignité et d’une certaine autonomie, et serait l’occasion d’apprendre à gérer un budget.
27. Certes, cette somme ne suffira pas pour un certain nombre de séminaristes. Interviennent des réparations de mobylettes ou la nécessité d’acheter un pantalon ; il faudrait peut-être rassembler dans ce cas plusieurs mois pour couvrir ces dépenses. C’est là qu’on devrait faire appel à d’autres sources de revenus pour augmenter le « SM/G » : industries diverses au séminaire, couverture des frais par les paroisses, de ceux qui y exercent du ministère.
On maintiendrait le système d’une caisse commune où seraient versés des dons pour séminaristes, ou le superflu le cas échéant. Pour des cas exceptionnels, surtout en ce qui regarde les réparations de mobylettes, un recours aux Évêques respectifs est toujours possible.
28. Le problème des moyens de locomotion reste entier ; il ne manque pas d’importance à cause de la nécessité du ministère. Cette question pourrait être réglée au niveau de chaque Diocèse. Nous pensons que la solution proposée reste modeste. Elle aurait, du moins, l’avantage d’enlever un obstacle qui, de plus en plus, devient obsédant chez les séminaristes et même pour le directeur.
LES ÉVÊQUES DU CONGO