CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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LA QUESTION SOCIALE : LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ - avril 2007

mercredi 1er juillet 2020

PAROLES D’ÉVÊQUE N° 24
35ÉME ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE À Brazzaville,
DU 16 AU 22 AVRIL 2007

Chers Filles et Fils du Congo,

Vous tous, hommes et femmes de bonne volonté !

1. Au terme de la 35ème Assemblée Plénière de notre Conférence Épiscopale, tenue à Brazzaville, du 16 au 22 avril 2007, sur «  La question sociale : lutte contre la pauvreté  », nous sommes heureux de vous adresser ce Message de paix et de joie, avec l’assurance de notre prière et de notre bénédiction.

2. L’Église s’intéresse à « la question sociale » et à « la lutte contre la pauvreté  », parce que « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur » (GS n° 1).

Bible et Pauvreté

3. L’Église s’intéresse au pauvre parce qu’il s’agit d’une dimension constitutive de sa mission (Ac 1,8). Le pauvre a toujours été et est au cœur de l’Église. Dans la bible et déjà dans l’Ancien Testament, Yahvé dénonce les mauvais traitements qui sont infligés aux pauvres : leurs biens sont détournés, ils travaillent pour un salaire dérisoire ne pouvant satisfaire le minimum vital (cf. Job 24, 2-12).

« Les méchants déplacent les bornes, ils enlèvent bergers et troupeaux. Ils volent troupeaux et bergers, puis ils en deviennent les bergers. Ils emmènent l’âne des orphelins, ils prennent le bœuf de la veuve, comme garantie pour sa dette. Ils chassent du chemin les malheureux. Tous les pauvres du pays n’ont plus qu’à se cacher » (Job 24,2-4).

4. Il y a bien d’autres prises de position des prophètes qui nous interpellent vivement. Le prophète Amos affirme : « Écoutez ceci, vous qui écrasez le pauvres et voulez faire disparaître les humbles du pays, vous qui dites [...) Nous fausserons les balances pour tromper. Nous achèterons les faibles à prix d’argent et les pauvres pour une paire de sandales (...) Yavhé l’a juré : je changerai vos fêtes en deuil et tous vos chants en lamentations » (Amos 8, 4-10).

5. Dans cette perspective, le Christ Lui-même s’est fait serviteur et a pris parti pour les pauvres (cf. Ph 2, 6-12). Ne serons-nous pas jugés sur notre amour pour le prochain et particulièrement pour les pauvres ? « Tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 25- - 46).

Principes de la Doctrine Sociale de l’Église

6. Il nous a apparu impérieux de vous rappeler à vous chrétiens, hommes et femmes de bonne volonté les principes qui doivent mobiliser toute l’action de l’Église, à savoir : la dignité de la personne humaine, créée à l’image et la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26), le principe du bien commun, la destination universelle des biens de la terre, le principe de solidarité. L’Église étant le Corps du Christ, il est donc de sa vocation de poursuivre l’œuvre de son fondateur et de prendre parti pour le pauvre. Il ne peut en être autrement.

7. Ainsi, l’Église se déclare experte en humanité, non pas par une espèce d’auto élection, mais par sa mission de révéler l’homme à lui-même : « (L’Église) est en mesure de le comprendre dans sa vocation et ses aspirations, dans ses limites et ses malaises, dans ses droits et devoirs, et d’avoir pour lui une parole de vie à faire résonner dans les événements historiques et sociaux de l’existence humaine » (cf. Populorum progressio). En ce sens, tout ce qui concerne l’homme concerne l’Église, non seulement sur le plan des réalités matérielles, mais aussi sur le plan de l’agir, qui est du domaine de la morale : il s’agit de rendre l’humain « plus humain ».

Phénomène de pauvreté : constat

8. Nous Évêques et Ordinaires du Congo, avons voulu comprendre la dramatique réalité de la pauvreté, grâce à une enquête menée par nos services spécialisés sur le terrain, à savoir la Caritas, la Commission « Justice et Paix  », la Pastorale de la Santé, appuyées par certains experts. La pauvreté est le fait d’une condition économique et sociale démunie. Elle est un état déplorable, scandaleux, dans lequel une personne humaine ou un groupe de personnes vit. Ces éléments de compréhension nous sont aussi rapportés dans le Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP).

9. La pauvreté est multidimensionnelle. Elle peut être matérielle, économique, morale et sociale. C’est l’état de celui qui ne possède rien. Le pauvre est, de façon générale, celui qui n’a pas le nécessaire vital. C’est une personne sans ressources. À ce titre, nombreux sont les pauvres qui nous côtoient tous les jours. La tendance s’accélère et beaucoup de nos concitoyens vivent dans la précarité de manière dramatique, et dans des conditions indignes et déplorables. Notre enquête dans les différents Diocèses a révélé qu’il existe dans notre pays des situations d’extrême pauvreté. En 2000, les Institutions Internationales affirmaient que plus de 70 % des Congolais vivent en-dessous du seuil de pauvreté, avec moins d’un dollar par jour.

10. Les pauvres sont souvent les victimes de la violence et de la cupidité des hommes. Nous constatons qu’il existe de grandes poches de pauvreté dans les domaines ci-après : logements exigus et de qualité médiocre, emplois peu valorisants et très peu rémunérés.

Cette situation de pauvreté entraîne avec elle des handicaps, notamment chez les enfants en âge de scolarité. De nombreux parents sont parfois dans l’incapacité d’assurer la scolarité de leurs enfants. Dans plusieurs localités, les enseignants et le personnel soignant sont en nombre insuffisant. Les élèves étudient dans de mauvaises conditions.

11. Le non-accès à l’eau et à l’électricité est un autre indice qui nous permet de constater les difficiles conditions d’existence de l’écrasante majorité des pauvres. Et même ceux qui ont accès à l’eau et à l’énergie ne sont pas satisfaits de façon régulière de la qualité de ces deux denrées vitales.

Les conditions d’hygiène insuffisantes et de santé déficiente sont un lieu d’expression de la précarité. La majorité de nos populations ne possèdent pas de toilettes décentes et n’ont pas d’accès aux médicaments. De nombreuses familles se contentent actuellement d’un repas par jour. Bref, le Congo est classé parmi les pays les plus pauvres du continent.

12. Nous Évêques et Ordinaires du Congo, a la lumière de ce triste constat, encourageons toutes les initiatives qui s’inscrivent dans le sens de la réduction de la pauvreté.

Elle est au cœur de la question, comme le relevait le chef de l’État dans son message de fin d’année 2005 à la Nation : « Notre pays a besoin de solutions et de réponses durables aux problèmes qui le préoccupent. C’est le cas notamment de la lancinante question sociale à laquelle, je le sais, il est urgent aujourd’hui, d’apporter quelques solutions ». La lutte contre la pauvreté extrême est le premier Objectif du Millénaire qui suscite, de la part de tous, un réel engagement.

Les Causes de la pauvreté

13. Pour affronter le problème de la pauvreté au Congo, il nous faut identifier les causes et les secteurs dans lesquels se manifeste cette pauvreté.

Parmi les causes, on distingue d’une part les causes endogènes qui sont : la difficulté d’accès à l’emploi, la baisse effroyable du pouvoir d’achat, la démission de l’État devant ses responsabilités, l’inconscience professionnelle et la corruption généralisées, la complicité dans la gabegie financière, l’instabilité politique, l’ignorance, l’analphabétisme, la précarité de logements et la dégradation sans fin des voies de communication, enfin l’inflation toujours galopante et non maîtrisée.

D’autre part, les causes exogènes tournent essentiellement autour de l’inégalité dans les termes de l’échange : le fait que les producteurs des matières premières ne sont pas responsables de la fixation des prix de celles-ci sur le marché international.

14. Notons que les secteurs profondément touchés par cette pauvreté sont : la santé, l’éducation, la famille, l’économie et la culture politique. Quant à l’environnement, il constitue un problème fondamental en raison de la pollution qui cause la dégradation et l’appauvrissement des sols, provoque des phénomènes de réchauffement de la terre et entraîne toutes sortes de maladies infectieuses, paupérisant ainsi davantage la population.

Exhortation

15. Aujourd’hui, la pauvreté constitue un fléau national et une préoccupation majeure. Nous, Évêques et Ordinaires du Congo, saluons les réalisations faites et encourageons celles qui sont en cours : routes Brazzaville-Kinkala, Obouya-Owando, Bouansa-Mouyondzi, la construction de quelques aérogares, hôpitaux, nouvelle usine d’eau, centrale hydroélectrique d’Imboulou, etc., ... Pourtant beaucoup reste encore à faire.

16. Dans les domaines aussi vastes que ceux évoqués, les pistes d’action sont nombreuses et diversifiées. Il y a une urgence de la part de tous. Nous, Évêques et Ordinaires du Congo, au nom de notre mission prophétique, invitons d’abord les pouvoirs publics, ensuite l’opinion nationale et internationale, enfin les hommes et les femmes de bonne volonté à un engagement concret pour la réduction de la pauvreté dans notre pays.

17. Au Sommet du Millénaire de l’An 2000, notre pays, de manière responsable, s’est engagé à « réduire de moitié la pauvreté ». C’est dans ce sens que le Pape Jean-Paul II dans son message pour la Journée Mondiale de la Paix, durant l’Année du Jubilé en 2000 soulignait : « Au début du nouveau millénaire, la pauvreté de milliards d’hommes et de femmes est la question qui, plus que toute autre, interpelle notre conscience humaine et chrétienne ».

18. De même la doctrine sociale de l’Église souligne que la pauvreté pose un dramatique problème de justice. De manière précise, nous rappelons aux communautés chrétiennes et aux Ouvriers Apostoliques notre devoir d’être en état d’éveil et de ne pas nous résigner face aux graves situations de pauvreté dans lesquelles nous vivons aujourd’hui.

La pauvreté n’est pas une fatalité. L’engagement de tous et de chacun est attendu. Nous sommes tous invités à prendre en charge les personnes vulnérables dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la production, de la formation et surtout à promouvoir la justice sociale en toutes circonstances.

Aux pouvoirs publics

19. Nous, Évêques et Ordinaires du Congo, demandons :

  • De mettre en place et de promouvoir une politique efficace de protection sociale et d’accès à l’emploi durable, notamment pour les jeunes ;
  • De réguler la fixation des prix des denrées de première nécessité, mais aussi d’influer sur une baisse significative des prix des matériaux de construction et des outils de production ;
  • De créer les conditions d’une bonne éducation à savoir :
    • L’amélioration des infrastructures scolaires,
    • La formation du corps éducatif,
    • La garantie d’une bonne éducation de base pour tous les enfants du Congo. Il s’agit de redonner au système éducatif ses lettres de noblesse. Notre système éducatif est actuellement l’un des moins performants de l’Afrique. Des milliers des jeunes arrêtent les études, faute de structures d’accueil ;
  • De permettre un meilleur accès aux soins de santé pour tous, jusque dans les villages les plus reculés. Beaucoup de centres de santé n’ont pas encore été réhabilités. D’autres manquent d’agents de santé et de médicaments les plus usuels ;
  • De poursuivre la mise en place des dispositifs qui garantissent la bonne gouvernance : (instrument de lutte contre la corruption, amélioration du système judiciaire, etc.…)
  • D’accélérer la politique de désenclavement de l’arrière-pays.

A la société civile, aux hommes et aux femmes de bonne volonté

20. Nous invitons à plus de civisme, de conscience professionnelle, d’organisation et de solidarité. Soyons capables de nous mobiliser selon nos compétences et nos charismes sur cette lancinante question de la pauvreté. Nous sommes tous invités chacun selon ses capacités à changer nos modes de vie et à nous engager résolument dans la lutte contre la pauvreté, à abolir toute forme d’asservissement et d’abandon de quelques catégories sociales. Nous pensons ici, particulièrement à nos frères et sœurs les pygmées, encore marginalisés et exploités.

A la communauté internationale

21. Nous remercions les Organismes internationaux et les Organisations non gouvernementales internationales, pour toute l’aide humanitaire apportée dans des conditions souvent difficiles, voire périlleuses. Nous comptons encore sur vous, pour toutes les initiatives permettant aux populations de se prendre en charge.

Conclusion

22. À tous et à chacun, nous redisons que la pauvreté n’est pas une fatalité, comme dit le Deutéronome : «  Qu’il n’y ait donc pas de pauvre chez toi » Dt 15,4). Que la puissance du Christ Ressuscité vous accompagne tous et que par l’intercession de Marie Notre Mère, chacun de nous soit fidèle à la lutte, pour l’amélioration des conditions de vie des pauvres dans notre pays.

23. L’Église nous regarde tous avec confiance et avec amour. Regardons-la et nous trouverons en elle le Visage du Christ, le Vrai Témoin, Humble et Sage, l’Ami des pauvres et des malheureux, le Compagnon de tous. Avec Lui, construisons un monde meilleur et entretenons une espérance nouvelle. C’est en son nom que nous vous exhortons et vous bénissons.

À Brazzaville, le 22 avril 2007

 

Les Évêques du Congo et le Préfet Apostolique

1. Mgr. Anatole MILANDOU, Archevêque de Brazzaville ;
2. Mgr. Louis PORTELLA-MBUYU, Évêque de Kinkala, Président de la CEC. ;
3. Mgr. Ernest KOMBO, Évêque d’Owando ;
4. Mgr. Jean-Claude MAKAYA-LOEMBA, Évêque de Pointe-Noire ;
5. Mgr. Daniel MIZONZO, Évêque de Nkayi ;
6. Révérend Père Jean GARDIN, Préfet Apostolique de la Likouala ;
7. Révérend Père Yves Marie MONOT, Administrateur Apostolique de Ouesso.

 

 


 
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