CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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LE PÉTROLE ET LA MISSION DE L’ÉGLISE AU CONGO

samedi 6 juin 2020

PAROLES D’ÉVÊQUE N° 18
(SESSION SPÉCIALE À BRAZZAVILLE, 04 – 07 JUIN 2002)

INTRODUCTION

Frères et Sœurs,
Peuple de Dieu,

1. L’économie de notre pays repose aujourd’hui sur le pétrole : 72% des recettes fiscales et 92% des recettes d’exportation (cf. Stratégie d’appui de la Banque Mondiale en République du Congo). Non seulement le pétrole n’est pas éternel mais sa gestion n’est pas transparente !

2. Dans le numéro 14 de « Paroles d’Évêque » de 1998, intitulé : « Le Congo a faim et soif de paix » et publié à Kinkala, nous nous sommes interrogés au sujet du pétrole en ces termes : « Notre pays a de nombreuses possibilités de développement. Comment comprendre que pendant trois décennies, la régularité des découvertes et inaugurations des puits de pétrole, toujours plus importants, ne soit accompagnée d’un quelconque signe visible de transformation de la situation sociale de notre population ? Notre pétrole doit être un instrument de la vie et non de la mort pour notre peuple ».

3. Plus récemment encore, en mai 2001, toujours dans Parole d’Évêque : «  Dialogue, Vérité, Justice : Chemin de paix  », (numéro .16), nous déclarions : « Notre pays a la grâce d’être particulièrement béni de Dieu qui l’a comblé de richesses : terre, eau, pétrole, bois... ressources humaines. Ces richesses ont été données par Dieu pour nous tous ».

« Tout dirigeant porte ici une lourde et délicate responsabilité envers tout le peuple congolais : responsabilité d’une gestion transparente, responsabilité d’une justice sociale. Il n’y a pas de paix durable sans une bonne gestion du revenu national, sans emplois pour les jeunes, sans infrastructures essentielles : écoles, hôpitaux, routes pouvant désenclaver nos capitales régionales. Le développement et la paix ne seront jamais possible avec la croissance d’inégalités scandaleuses entre ceux qui ont et qui accumulent davantage et la masse de ceux qui n’ont rien ».

4. Aujourd’hui le Congo, notre pays, vient de renouer avec le processus démocratique.

Nous nous adressons non seulement aux chrétiens catholiques, mais aussi surtout au Président élu, aux nouveaux parlementaires, aux opérateurs économiques, aux compagnies pétrolières et nous sollicitons la solidarité ecclésiale et internationale.

A - CE QUE L’ÉGLISE DEMANDE

5. Dans la noble mission qui nous revient, nous nous permettons d’interpeller le Chef de l’État élu et les nouveaux parlementaires qui ont la responsabilité de la gestion des affaires publiques. Pour une gestion efficace du bien commun, en nous inspirant de l’expérience du Tchad, une Loi devrait voir le jour. Elle porterait :

  • Sur la répartition des revenus pétroliers ;
  • Sur la création d’un Comité de contrôle constitué des représentants de l’État, de l’Église et de la société civile ;
  • Sur l’ouverture des comptes spéciaux au Trésor Public ainsi que dans les institutions financières internationales ;
  • Sur l’ouverture d’un dialogue entre le gouvernement, les compagnies pétrolières et la société civile, sur la question de la dette du Congo.

6. Cette Loi fixerait les pourcentages de répartition pour l’État central et les régions, sans oublier les investissements et les infrastructures prioritaires. De même qu’elle prévoirait la publication régulière des ventes et des activités financières de la Société Nationale des Pétroles du Congo (SNPC).

Elle devrait aussi prévoir un pourcentage à épargner dans une institution financière pour nos générations futures, à l’instar de ce qui se fait en Norvège et dont l’épargne ne serait disponible qu’après épuisement de la production pétrolière du pays.

B - MISSION ÉVANGÉLISATRICE DE L’ÉGLISE

* FONDEMENTS SCRIPTURAIRES

7. Nous ne pouvons comprendre la mission de l’Église qu’en nous interrogeant fondamentalement sur le vrai visage de Dieu. Qui est notre Dieu ?

1.1. Un Dieu Libérateur

La première image que l’Écriture nous offre de Dieu, c’est pour prendre la parole et dénoncer l’humiliation, l’esclavage, l’oppression de son peuple (Ex 3,7 -10 ; Dt. 6, 20- 25 ; 26, 4-9 ; Am 3, 12). Ainsi, Jésus se révélera comme le libérateur de son peuple. L’annonce de l’Évangile est libératrice, créatrice des temps nouveaux et met l’homme en route avec d’autres.

Dieu est entré dans l’histoire pour nous envoyer libérer son peuple, pour écrire l’histoire avec nous. Il est venu annoncer la Bonne Nouvelle (Lc 4,18-19). C’est aujourd’hui que nous avons à humaniser cette terre. L’histoire a un sens et nous pouvons en être tous acteurs et ouvriers (Ap 21,4).

1.2. Le Dieu de l’Alliance

8. Dieu appelle les Hébreux libérés de l’esclavage à devenir son peuple. Il fait appel à sa responsabilité, Il reconnaît sa dignité et en fait son partenaire.

  • La longue histoire d’Israël, jalonnée de guerres et de violences, nous apprend à ne jamais désespérer de l’homme. Sans cesse, il doit être appelé à se libérer de l’esclavage pour devenir Peuple de Dieu. Ce Peuple, pour vivre l’Alliance, a besoin d’un code qui lui enseigne :
  • Le respect de la vie : « Tu ne tueras pas » (Dt 5,17).
  • Le respect des biens d’autrui : « Tu ne voleras pas » (Dt 5,19)
  • Le respect delà vérité : « Tu ne mentiras pas » (Dt 5,120).
  • Le respect des plus faibles (l’orphelin, la veuve et l’étranger) : « qui opprime le faible, outrage son Créateur, mais qui a pitié du pauvre l’honore » (Pr 14, 31).

9. Jésus Lui-même est le Médiateur de la Nouvelle Alliance. Il s’identifie à toute personne humaine, à tous ceux et celles dont les droits fondamentaux ne sont pas respectés. La rencontre avec Dieu se joue dans la rencontre avec les affamés, les assoiffés, les malades, les étrangers, les prisonniers. Tout homme humilié, bafoué, réfugié, déplacé, exploité, torturé, est un fils de Dieu, mieux le fils de Dieu. Y-a-t-il motivation plus urgente pour défendre les droits de l’homme ?

1.3. Le Dieu des pauvres

Dans la Bible retentit le cri des pauvres, Dieu l’entend. Les pauvres, ce sont les petites gens sans ressources, mais surtout sans recours ni défense devant le riche ou le puissant. Jésus est toujours aux côtés des pauvres : « Lui qui est de condition divine...Il s’est dépouillé prenant la condition de serviteur » (Th 2, 6-7). Jésus meurt pour témoigner du sérieux avec lequel on doit respecter autrui et libérer le faible.

La croix de Jésus est Prophétie. En tout état de cause, la Parole de Dieu ne nous laisse pas au repos. Elle est lumière, force, incitation à aller toujours plus loin pour défendre la dignité de cet homme, cette femme, cet enfant, cette humanité qui a tant de prix aux yeux de Dieu (cf. Ps 8, 4).

C- LA TRADITION VIVANTE DE L’ÉGLISE

10 « Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaît pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile qui est la mission de l’Église » (Synode des Évêques de 1971). Soulignons quelques critères biens connus :

a) - La destination universelle des biens de la terre : L’Église enseigne que les biens de la terre sont destinés à tous. Ils n’appartiennent pas seulement à une minorité qui peut les accaparer au détriment de la majorité : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes. C’est pourquoi l’homme, dans l’usage qu’il en fait ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui mais aussi aux autres » (GS 69).

b) - L’option préférentielle pour les pauvres : L’Église entend le cri des pauvres et se fait l’interprète de leur détresse. Elle veut défendre la cause des pauvres en dénonçant les injustices, les inégalités entre riches et pauvres (cf. Conférence de Médellin en Colombie ,1968). « Oui la préférence pour les pauvres est une préférence chrétienne.

C’est la préférence qui exprime la sollicitude du Christ venu proclamer un message de salut aux pauvres, car les pauvres sont, sans conteste, aimés de Dieu et c’est Dieu qui garantit leurs droits. L’Église proclame sa préférence pour les pauvres, à l’intérieur même de la totalité de sa mission d’Évangélisation qui s’adresse à tous les hommes » (Jean-Paul II aux Philippines en 1981).

c) - La solidarité : La solidarité n’est pas neutre. Elle est la nature éthique. Elle apparaît alors comme un antidote qui secrète et fait peser dans l’histoire non plus le désir exclusif du profit, mais l’esprit de partage, non plus la soif du pouvoir dans le but d’imposer aux autres sa volonté, mais la mise en œuvre des moyens aptes à assurer à tous un bien-être social.

C’est en ce sens que Jean-Paul II définit la solidarité comme « le fait que les hommes et les femmes, en diverses parties du monde, ressentent comme les concernant personnellement les injustices et les violations des droits de l’homme commises dans les pays lointains où ils n’iront sans doute jamais. C’est autre signe d’une réalité intériorisée dans la conscience, prenant ainsi une connotation morale parce que tous, nous sommes responsables de tous ». Selon Paul VI, la notion de solidarité est liée à celle du développement, puisque le développement intégral de l’homme ne peut aller sans développement solidaire de l’humanité (Populorum Progressio N° 43).

D - LES RAISONS SOCIO-ÉCONOMIQUES

11. Aujourd’hui, notre pays est le troisième producteur de pétrole d’Afrique noire, après le Nigéria et l’Angola, avec une production estimée à 13 millions de tonnes par an, en 2000, soit 265.000 barils par jour, selon certaines sources dignes de foi.

12. Parce qu’un certain nombre de maux dont souffre notre pays découle de la mauvaise gestion des revenus pétroliers, des enquêtes ont été menées un peu partout. Nous pouvons rappeler que la Conférence Nationale Souveraine de 1991 avait consacré beaucoup de temps à la question, tout comme la dernière campagne électorale présidentielle. L’Assemblée Nationale Française, dans le souci d’informer un large public, a rédigé un important rapport sur le rôle des compagnies pétrolières dans la politique internationale et leur impact social et environnemental. La mauvaise gestion des revenus pétroliers entraîne les maux suivants :

  • L’inégalité, l’injustice les guerres et la pauvreté ;
  • La pollution de l’environnement physique et humain (maladies) ;
  • La mentalité rentière, source de négligence des secteurs vitaux de l’économie : pêche, agriculture, élevage, tourisme... ;
  • La dette publique, grand obstacle à la reconstruction et au développement. En fin 1999, la dette publique totale était de 5,4 milliards de dollars soit 2000$ par habitant dont 80% de dette extérieure.

13. Les souffrances, les guerres, la misère, le manque d’infrastructures, les violences et les pillages ont gravement augmenté la pauvreté de nos populations : 70% de la population vivent en-dessous du seuil de la pauvreté. Le chômage concerne plus de 60% de la population active et en appelle à une responsabilité collective. Il est du devoir de l’État d’assurer une société plus juste et fraternelle et un minimum vital pour tous. Ceci est de l’ordre du possible.

E - RAISONS ÉTHIQUES

14. Certes, l’Afrique traverse beaucoup de mutations sociales, mais l’aspiration à la paix devient de plus en plus prononcée. Cette décennie de la culture de paix décrétée par l’ONU rejoint le projet de Dieu (cf. Ps 8 et Gn). La justice sociale s’impose. Le développement, dit le Pape Paul VI, est le nouveau nom de la paix (cf. Populorum Progressio). Notre motivation, est l’attente impatiente du Royaume qui nous a été promis et l’appel que nous avons reçu d’en rendre témoignage.

15. La déclaration universelle des droits de l’homme nous enseigne dans son article 25 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi, que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».

F - APPEL À LA SOCIÉTÉ CIVILE NATIONALE

16. Depuis quelques années, plusieurs associations et organisations non gouvernementales ont pris conscience et se sont engagées auprès des populations pour les aider à se prendre en charge, pour leur survie.

Ainsi, conscients de ce rôle de plus en plus important, nous les invitons à plus de responsabilité pour sauver notre maison commune, le Congo.

G - APPEL À LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

17. Notre pays vient de renouer avec le processus démocratique et veut aujourd’hui consolider la paix. Il n’y a pas de paix sans justice sociale. Nous croyons que la paix ne peut se construire sans une assistance de la communauté internationale, des institutions financières internationales et des multinationales travaillant dans notre pays.

Nous sollicitons la coopération des institutions financières internationales (FMI et Banque Mondiale) pour nous accorder une reconversion de notre dette en investissements sociaux.

Nous demandons que le Gouvernement congolais puisse s’engager dans l’analyse des solutions proposées dans les délais les meilleurs. Ce serait non seulement répondre aux attentes du peuple, mais également faire preuve d’un engagement sur la voie des réformes attendues par nos partenaires financiers.

H - APPEL À LA SOLIDARITÉ ECCLÉSIALE

18. Notre cri s’adresse aux Conférences Épiscopales sœurs de l’Union Européenne, spécialement de la France, de l’Italie, de la Norvège, ainsi qu’à la Conférence des Églises d’Europe et au Conseil Pontifical « Justice et Paix » à Rome.

Nous croyons qu’ils pèseront de tout leur poids sur la compagnie Total Fina-Elf, afin que la dette du pétrole soit revue et la transparence exigée.

19. À l’Église des USA, suite à la Déclaration de son Épiscopat sur l’Afrique, nous lançons un appel pour être nos interlocuteurs auprès de l’État américain et des institutions financières internationales, notamment le FMI et la Banque Mondiale, afin que le cri du Congo trouve un aboutissement heureux sur les problèmes de la dette, de la transparence et sur les conditionnalités législatives d’une Loi sur les recettes pétrolières.

20. Ainsi le pétrole ne sera un combustible, non pour la mort, la dette, la malédiction, la violence, la dictature, la guerre civile ; mais pour le progrès et le bien-être des populations congolaises et d’Afrique.

Fait à Brazzaville, le 10 Juin 2002.

 

LES ÉVÊQUES DU CONGO

1. Mgr. Anatole MILANDOU, Archevêque de Brazzaville, Président de la CEC. ;
2. Mgr. Ernest KOMBO, Évêque d’Owando ;
3. Mgr. Hervé ITOUA, Évêque de Ouesso ;
4. Mgr. Jean-Claude MAKAYA, Évêque de Pointe-Noire ;
5. Mgr. Louis PORTELLA-MBUYU, nouvel Évêque de Kinkala ;
6. Mgr. Daniel MIZONZO, nouvel Évêque de Nkayi ;
7. Révérend Père Jean GARDIN, Préfet Apostolique de la Likouala ;
8. Mgr. Bernard NSAYI, Évêque Émérite de Nkayi, Directeur National des OPM.

 

 


 
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