VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM » DES ÉVÊQUES DU CONGO
lundi 3 août 2020
DISCOURS DU MGR. ANATOLE MILANDOU PRÉSIDENT DE LA C.E.C.
Samedi 9 juin 2001
Très Saint-Père
Depuis notre dernière visite en 1993, beaucoup de choses ont changé dans le monde, plusieurs événements ont marqué de leurs empruntes, l’histoire de notre planète. Chaque continent et chaque pays les ont reçus selon leur spécificité culturelle, sociologique, politique et économique. Notre pays le Congo n’a pas été épargné. Dans sa spécificité, il a fait l’expérience à la fois heureuse et douloureuse de son histoire.
1. C’est une Église et un pays meurtris mais qui sèchent lentement ses larmes que nous, Pasteurs, vous présentons.
En effet, depuis notre dernière visite Ad Limina Aposto/orum, en novembre 1993, notre pays a connu des guerres d’une rare cruauté. Au cours de ces périodes sinistres et douloureuses, le peuple de Dieu qui est au Congo a subi des humiliations les plus barbares. Des prêtres, des religieux, des religieuses et des séminaristes n’ont pas été épargnés puisque certains d’entre eux et de nombreux chrétiens ont trouvé la mort. Parmi eux un grand séminariste et deux prêtres dont un Fidei Donum d’origine polonaise. Certains Évêques ont souffert dans leur chair et ont survécu à ces atrocités grâce au secours de Dieu.
Quelques-uns de nos Diocèses ont vu leurs édifices détruits ou fortement endommagés. Des biens, meubles, immeubles et des moyens de transport ont été pillés.
Au sein de la population subsistent et subsisteront pour longtemps, les séquelles de ces horribles guerres. Mais le Tout-Puissant nous a donné des raisons d’espérer, dont la célébration du Jubilé de l’An 2000 “année de grâces et de renouveau “été un des points culminants. En effet, elle est arrivée à point pour ce peuple de Dieu qui est au Congo alors qu’il venait à peine de sortir de la tourmente de la dernière guerre qui avait commencé en décembre 1998.
En 1993, nous n’étions que cinq Évêques présents à ce rendez-vous. Aujourd’hui, nous sommes une délégation de six membres de notre Conférence Épiscopale dont quatre Évêques, un Administrateur Apostolique et un Préfet Apostolique. Nous rendons particulièrement grâce à Dieu en ce jour, pour nous avoir permis de nous retrouver de nouveau autour de vous, Très Saint-Père. Les situations dramatiques que nous avons connues ne laissaient pas présager que nous nous retrouverions ou plutôt que certains d’entre nous vous reverraient.
Grâce â Dieu, les souffrances du peuple ont pu être atténuées. Grâce aux hommes et femmes de bonne volonté et aux Caritas diocésaines aidées par les ONG internationales, des actions humanitaires ont pu être menées pour soulager les populations démunies et meurtries.
Nous rendons aussi grâce à Dieu pour vos interventions personnelles et vos exhortations tout comme à la présence réconfortante et agissante du Nonce apostolique durant les derniers conflits armés.
2. Le 29 mai 2000, vous avez reçu le Président de la République du Congo. Par ce geste, vous avez fortement contribué à l’apaisement du climat de violence, de méfiance et d’insécurité dans notre pays. Nous relevons le fait que les pouvoirs publics se confient ou disent se confier à Dieu depuis quelques temps. Ce ne sont pas des conversions spontanées, mais nous osons espérer qu’elles résultent d’un besoin véritable de Paix et d’un désir profond de conversion.
3. Très Saint-Père,
Nous nous permettons de vous rappeler la réponse que vous avez donnée aux propos de l’Ambassadeur de notre pays à l’occasion de la présentation de ses Lettres de Créance auprès du Saint-Siège, le 25 mai 2000, nous citons : « Après tant d’années de souffrance, pour parvenir à une paix durable, il est nécessaire que le pays tout entier s’engage avec toujours plus de courage et de détermination sur les voies de la réconciliation et du pardon. L’entrée dans le nouveau millénaire est une occasion privilégiée pour travailler à rendre justice aux victimes innocentes des conflits, à éliminer les violences qui engendrent la domination des uns sur les autres et à créer une nouvelle culture de solidarité. »
4. Ces paroles nous confortent dans le combat pour la paix, la justice et la solidarité que nous ne cessons de mener ensemble avec le Peuple de Dieu qui est au Congo et tous les hommes et les femmes épris de ces mêmes vertus. Comme vous, nous nous réjouissons des avancées dans la recherche d’une entente avec toutes les filles et les fils de la Nation.
Les accords de cessez-le-feu, de cessation des hostilités passées en novembre et en décembre 1999 entre la force publique et la force de résistance et le dialogue national sans exclusive qui vient de se tenir à Brazzaville sont des étapes importantes qui nous permettent d’espérer sortir du tunnel. Mais nous sommes convaincus que nous avons encore du chemin à faire, tant que le message évangélique n’aura pas assez de prise sur notre vécu quotidien.
Voilà pourquoi nous pensons que seules, la grâce du Seigneur et la volonté de conversion de tout fils et de toute fille de ce pays et particulièrement de tous ceux qui ont le pouvoir de décision et de gouvernement, permettront à l’ensemble de ce peuple de se réconcilier avec lui-même et de revivre dans le respect réciproque des droits et de la dignité de chaque homme crée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Nous n’avions, en aucun moment, perdu notre sang froid. Pas même après l’odieux assassinat des membres du Conseil œcuménique dont la mission noble était la recherche d’une solution pacifique à la guerre.
5. Nous avons essayé nous-mêmes, dans la mesure du possible, de garder la neutralité dans les conflits qui ont presque dégénéré en guerres tribales. Nous avons signifié à toutes les parties en conflit par divers Messages et Exhortations que « le Congo a soif et faim de la paix ». Nous n’avions, en aucun moment, perdu notre sang froid. Pas même après l’odieux assassinat des membres du Conseil Œcuménique dont la mission noble était la recherche d’une solution pacifique à la guerre.
6. Cette année 2001 a été décrétée : « Année internationale du dialogue entre les civilisations... pour édifier la civilisation de I ’Amour ». Le dialogue, la réconciliation et la demande mutuelle et collective de pardon sont nos maîtres mots. C’est d’ailleurs autour de ces vertus que nous avons consacré l’essentiel de notre réflexion au cours de notre dernière Session Ordinaire, la vingt-neuvième, tenue du 7 au 13 mai 2001.
Déjà, dans notre Déclaration de 1994 intitulée « Appel à la reconstruction » publiée après le conflit armé de 1993, nous avions mis l’accent sur l’importance vitale du dialogue, du respect et de l’écoute des autres, comme source de paix véritable en soulignant que : « sans la justice et la paix, considérées comme des dons de Dieu, notre pays ne pourra se reconstruire. C’est donc un devoir chrétien pour tout baptisé, d’être un artisan de justice et de paix ». (S.3.3). Nous croyons fermement que la paix est à ce prix. Et la paix est la condition du développement.
7. Notre Église locale s’est engagée à moraliser la vie politique en diffusant des principes moraux de base : « Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne mentiras pas... ». (Fondation TERRAM PACIS). En effet, « le politique qui est le lien naturel et nécessaire pour assurer la cohésion du corps social doit avoir pour but la réalisation du bien commun » (OA 46).
Nous entendons mener une intense action de formation sur l’enseignement social de Église, d’une part, de sensibilisation et de rappel des exigences de la morale chrétienne d’autre part, par les moyens de communication sociale.
Pour cette raison, nous ne cessons de demander d’avoir un accès plus conséquent aux médias d’État et surtout de nous doter des radios diocésaines. Dans nos cultures, l’oralité occupe encore une place importante. Aussi, la radio et même l’image par la télévision et l’internet sont devenus en cette ère de la communication et de la « mondialisation » des moyens efficaces d’Évangélisation, de catéchèse et de formation du Peuple de Dieu.
8. C’est pourquoi, très Saint-Père, nous avons aussi réfléchi, entre autres, au cours de notre dernière Session ordinaire de mai 2001, sur les nouvelles stratégies de formation chrétienne à adopter, pour aider le Peuple de Dieu qui nous est confié à mieux intérioriser l’Évangile dans le contexte actuel de notre société mais aussi, pour conduire au Christ, le troupeau qui n’est pas encore entré dans l’enclos de la bergerie.
Pour ce faire, nous avons décidé le lancement d’une réflexion sous forme de consultation nationale sur l’Évangélisation en profondeur pour préparer la Session Plénière de l’an 2002.
Autour de ce thème incommensurable qu’est l’Évangélisation, nous envisageons de mener cette réflexion en ciblant certains défis majeurs tels que :
- Évangéliser pour « transformer du dedans… » comme le dit le Pape Paul VI dans Evangelii Nuntiandi(n. 18) ;
- La formation d’acteurs politiques nouveaux susceptibles d’orienter l’action politique au service du bien commun ;
- La formation humaine, chrétienne et civique de la jeunesse… ;
- La lutte contre la pauvreté, combat pour le développement et la promotion humaine ;
- Le scandale de la paupérisation des masses rurales, oubliées et réduites à des stratégies de survie...
9. Pour être vraiment efficace et pour durer, notre action éducative doit passer par la famille, l’école, le quartier ou le village et le milieu du travail. Nous espérons que l’amorce de rétrocession des écoles aux Confessions Religieuses par les pouvoirs publics, se poursuivra et s’étendra dans d’autres domaines comme ceux précités et qui impliquent une franche collaboration d’action commune et consensuelle.
Au sein de notre Église locale, la Commission Épiscopale pour l’Éducation Chrétienne travaille en collaboration avec les instances étatiques qui ont à charge les départements de l’éducation et la gestion du système éducatif congolais. Elle collabore aussi et surtout avec les Commissions Diocésaines et avec l’Union des Supérieures majeures du Congo, constituée par toutes les Congrégations religieuses qui œuvrent au sein de notre Église locale.
La Convention sur l’enseignement signée le 5 janvier 2000, entre L’Église et d’État, est un pas important. Mais beaucoup reste à faire sur le terrain après une absence de près de trente-cinq ans de toutes les Confessions religieuses de notre pays, du système éducatif congolais et de l’enseignement. Tournés vers l’avenir, nous souhaitons que notre système scolaire vise à intégrer les enfants dans la société en évitant une éducation trop livresque. Nous voulons former des adultes responsables. Pour ce faire, il faut impliquer les familles et les éducateurs dans leur projet éducatif.
10. Très Saint-Père, notre pays et de surcroît notre Église locale est essentiellement composée de jeunes dont la catégorie la plus importante est évaluée entre 5 et 25 ans. C’est pourquoi cette couche sociale, la jeunesse, demeure pour les Pasteurs que nous sommes, le groupe cible dans l’œuvre de l’Évangélisation. En effet à cause, de sa fragilité mais aussi de sa disponibilité, les adultes et particulièrement les partis politiques de notre pays se cessent de la manipuler jusqu’à l’engager dans des conflits armés qui ont endeuillé tout le pays et appauvri et déchiré davantage notre tissu social et notre économie. Le chômage des jeunes diplômés est devenu depuis une dizaine d’années une des endémies de notre société.
Ce qui pourrait expliquer en partie la facilité avec laquelle les hommes politiques les manipulent. De même, ces dérapages manifestent l’absence, sinon, la crise d’autorité partout dans la famille, à l’école, au travail et au sein de la société. Notre Église locale n’est pas à l’abri de cette situation. Nous Pasteurs, sommes fortement interpellés.
11. Notre apport dans la politique nationale sanitaire ne reflète pas les attentes de l’ensemble de notre population meurtrie pas des causes endogènes et exogènes que sont entre autres, la pauvreté, les épidémies, la mauvaise conscience professionnelle, les catastrophes naturelles, la mauvaise répartition des richesses nationales, la corruption, les discriminations de tous ordres, les injustices et les conflits armés... Vu l’importance des réformes en faveur de la santé, l’Église locale ne cesse de s’interpeller sur son implication.
Ainsi, à travers les Caritas, certaines Commissions diocésaines pour la pastorale de la santé et la Commission des religieuses de la santé, créée pendant les conflits armés, nous collaborons avec tous les acteurs qui travaillent dans ce domaine. Nous souhaitons, pour le futur, créer un hôpital de référence, mais surtout assurer l’éducation, à l’hygiène du milieu, de l’eau et des aliments, promouvoir et protéger la santé des individus et des collectivités. Nous avons réussi à installer quelques centres de soins intégrés dans certaines paroisses.
12. Au-delà de ce tableau on ne peut plus sombre de notre société et de notre Église particulière qui est au Congo, nous pouvons vous rassurer, comme, le clame si fort bien Saint Paul dans son épître aux Romains : « Ni la mort, ni l’insulte ne peut nous séparer de l’amour de Dieu » (Rm 8, 38-39), que les guerres n’ont pas détourné tous nos chrétiens de leur foi et de leur engagement baptismal, ni encore de leur pratique religieuse.
Malgré les différentes sectes - et elles sont devenues nombreuses surtout après les conflits armés - nos églises ne désemplissent pas. Il nous revient plutôt, ensemble avec les agents pastoraux nos plus proches collaborateurs de les former, de les éduquer et les amener à une inculturation renouvelée de l’Évangile. Les vocations sont de plus en plus nombreuses, ce qui pose le problème de structures et surtout celui des formateurs. Beaucoup de jeunes fréquentent nos Séminaires.
Dans les paroisses, les groupes vocationnels croissent en effectif. Les ordinations sacerdotales ne se sont pas arrêtées, bien au contraire ; au cours de l’année jubilaire par exemple, 33 jeunes diacres ont été ordonnés prêtres, dont 30 diocésains et 3 religieux. Sept religieux diocésains ont fait leur engagement définitif et une dizaine de religieuses ont prononcé les mêmes engagements dans différentes Congrégations religieuses qui travaillent dans notre pays.
Pour conclure, nous vous rassurons encore, Très Saint-Père, que notre jeune Église locale poursuit sa marche en avançant « au large pour pêcher » (Le 5,1-11) au même rythme sinon ensemble, avec l’Église universelle dont vous avez la noble et lourde Mission de conduire à la suite de Pierre et de tous vos vénérables prédécesseurs.
Dans votre Lettre adressée aux prêtres pour le Jeudi Saint 2001, vous nous avez si paternellement rappelé que, je cite « l’expérience que nous avons faite avec nos communautés en célébrant spécialement la miséricorde, deux mille ans après la naissance de Jésus, devient maintenant un stimulant pour la poursuite de notre marche. Duc in altum » (§2). Voilà pourquoi, nous, vos fils ici présents, sommes conviés à prendre en compte et surtout à vivre ce que disait Saint Augustin de sa charge épiscopale et qui vaut aussi pour le service presbytéral : « Ce que je suis pour vous me terrifie, mais ce que je suis avec vous me console car pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien.
Le premier titre est celui d’une charge, le second, d’une grâce. Celui-là désigne le péril, celui-ci le salut » (Serm 340. 1). Que Votre Sainteté nous accompagne dans ses prières et nous avec vous. Pour la plus grande gloire de Dieu et le salut de ce peuple qu’il nous a confié en cette terre congolaise.