LA GESTION DES BIENS DANS L’ÉGLISE
samedi 6 juin 2020
PAROLES D’ÉVÊQUE N° 15
28ème Assemblée Plénière à Pointe-Noire, 01-07 juin 2000
« Vous devez donc nous regarder comme des serviteurs du Christ, des hommes auxquels est confiée la responsabilité des vérités secrètes de Dieu. Tout ce que l’on demande à un homme chargé d’une responsabilité, c’est d’être fidèle ». (1 Co 4,1 -2).
Chers frères et sœurs en Christ.
1. Nous venons de tenir à Pointe-Noire, du 1er au 7 juin 2000, notre 28ème Assemblée Plénière dont le thème a été : « Gestion des biens dans l’Église ; Éthique et Responsabilité ». Des événements ont précédé notre rencontre, entre autres :
- La rencontre des prêtres congolais de Loango II.
- Les accords de cessation des hostilités de Pointe-Noire et ceux de Brazzaville. L’appel de Douala, les colloques d’Aix-en-Provence, de Nice et de Paris.
- La visite du chef de l’État congolais au Vatican, qui relance la coopération Église-État dans notre pays.
Bien gérer aujourd’hui est un impératif
2. Cette Assemblée Plénière de notre Conférence Épiscopale a abordé un sujet que nous n’avons pas l’habitude de traiter. L’Église qui est au Congo sait, conformément aux textes qui la régissent, que tous les sujets peuvent être traités. L’esprit d’ouverture qui caractérise l’Église et ses Pasteurs ne peut qu’apporter une lumière de l’Évangile à toutes les préoccupations du monde. Il en est ainsi de la gestion. De par notre Baptême, ne sommes-nous pas prêtres, prophètes et rois ?
3. C’est pourquoi, nous avons décidé de faire le diagnostic de notre propre gestion d’abord, au sein de notre Église locale, en nous inspirant du Droit Canonique, de l’éthique et de notre propre expérience, en vue d’une Évangélisation plus crédible, qui tienne compte de notre situation sociopolitique.
4. De par notre appartenance et notre être au monde. Ce monde historique et matériel que nous assumons en ce troisième millénaire déjà entamé, nous, hommes d’Église, sommes sans cesse interpellés sur notre apport aux réalités économiques, en particulier sur la gestion des biens temporels de l’Église.
5. Loin d’être une simple invite paisible, il est plus question de prendre à bras-le- corps un certain nombre de problèmes économiques de notre Église, en général, et de nos Diocèses et paroisses, en particulier, après les guerres successives dont notre pays n’a pas encore fini de gérer les conséquences, hélas, aussi nombreuses que complexes, dans un contexte de pays reconnu au plan mondial comme sous-développé. Les défis et les problèmes économiques qui interpellent notre Église n’ont pas besoin d’être mis en liste. Ils sont nombreux et urgents, ils sont vitaux et pertinents. (cf Allocution de Mgr Anatole MILANDOU, Président de la Conférence Épiscopale).
Le rôle capital des agents pastoraux
6. La rencontre de Loango, en avril dernier, a mis en lumière les problèmes de fond qui se posent au Clergé congolais dont le nombre va grandissant. Les problèmes matériels du prêtre congolais sont réels. Mais, comme l’a dit l’un d’entre nous, notre souhait est de voir toute la communauté chrétienne résoudre ces questions préoccupantes. Nous vous disions, en avril 1989, à Kinkala : « Vous êtes irremplaçables et votre rôle est sacré de par l’imposition des mains que vous avez reçue selon la tradition des apôtres. Vous êtes une richesse, une grâce pour tous les hommes et vous êtes une chance pour le pays... » (« Le rôle irremplaçable du prêtre » : Parole d’Évêque, n°4).
7. La 28ème session de la Conférence Épiscopale du Congo assigne non pas de nouvelles tâches, mais une nouvelle manière dans l’agir pastoral à tous les Ouvriers Apostoliques. Nous avons réfléchi sur un concept déterminant pour une vie harmonieuse dans la société et dans l’Église. L’action des hommes sur les choses est devenue l’un des objets essentiels de l’ordre social.
8. Les échanges qui se sont instaurés, au cours de cette session plénière, ont permis à nos économes et experts de projeter une lumière crue sur la gestion balbutiante dans notre Église, tant sur le plan juridique, économique, comptable que moral. Nous avons été édifiés sur les pratiques en cours dans notre Église. Les différentes interventions ont relevé nos points faibles :
- Au niveau juridique : aucun texte n’existe outre le Droit canonique qui donne les orientations générales ;
- Au niveau économique : si certains Diocèses disposent de Conseil pour les Affaires Économiques, d’autres, par contre, ne l’ont que de nom, et enfin d’autres encore, rien du tout ;
- Au niveau comptable : incohérence des plans comptables et manque de procédures exigées pour toute comptabilité transparente et saine.
Ce qu’il y a lieu d’entreprendre entre autres :
- Mise en place des organes prévus au Code de Droit canonique en matière d’administration des biens temporels de l’Église, dans le respect des exigences de la réglementation ;
- Élaboration d’un manuel de procédure pour toutes les opérations qui touchent à l’administration des biens matériels de l’Église ;
- Mise en place des supports documentaires pour matérialiser les opérations financières, comptables et administratives ;
- Élaboration d’un plan comptable pour toute l’Église qui est au Congo, lequel plan devra être utilisé au niveau diocésain et paroissial ;
- Gestion de la trésorerie au moyen du système d’unicité de caisse, au niveau paroissial, de la caisse de péréquation au niveau diocésain.
- Implication de tous les agents pastoraux dans la gestion économique ; mais auparavant, l’Église devra s’assurer qu’elle est bien propriétaire de tous les biens, meubles et immeubles dont elle dispose.
- Mise en place dans les Diocèses et paroisses, des conseils pour les affaires économiques.
- Création d’une procure inter-diocésaine, des bureaux de développement et d’une structure devant régir tous les agents pastoraux, malades, invalides ou retraités.
9. Nos Diocèses et nos paroisses sont des entités à prendre en main. L’Évêque, le prêtre et le laïc sont des pilotes qui devront y assumer des responsabilités dans la sérénité et la transparence. Le prêtre est appelé à faire preuve d’imagination afin qu’il introduise la lumière de Jésus-Christ dans la nouvelle civilisation qui s’élabore.
Les attentes
10. « La société n’est pas heureuse parce qu’elle n’est pas fraternelle », avait dit le Pape Paul VI. Après les guerres fratricides, la société meurtrie, a besoin de se réconcilier avec elle-même. Au terme des travaux de Loango II, les prêtres congolais ont d’abord reconnu leurs péchés et demandé pardon à Dieu et au peuple congolais pour leurs contre-témoignages. En outre, ils ont pris, entre autres, les décisions suivantes :
- La cohérence entre la parole prêchée et la vie concrète du prêtre ;
- Le renforcement de la fraternité sacerdotale ;
- La redynamisation des Commissions Diocésaines Justice et paix.
11. Nous, Évêques, invitons chaque chrétien au renouvellement sincère de son engagement baptismal, à la conversion qui devra l’amener à de nouveaux comportements dans l’Église et la société. Nous en appelons pour cela, au dialogue et à la réconciliation.
Au niveau de l’État, pour que le dialogue aboutisse à la vraie réconciliation nationale, nous en appelons à la responsabilité de nos gouvernants.
12. Nous rappelons qu’il n’y a pas de dialogue sans hommes et femmes qui le désirent et qui l’exigent, sans procédures qui établissent un minimum d’égalité entre ceux qui veulent dialoguer, et qui imposent aux discours des règles d’échange et de sincérité. Le dialogue implique une commune référence à des valeurs. Il apparaît comme une forme de socialisation issue des esprits et conduisant à un changement dans les esprits. Il n’y a de dialogue possible qu’entre des interlocuteurs qui admettent que la vérité et la justice leur sont à la fois transcendantes et virtuellement immanentes ; personne n’a le monopole de la vérité. On ne dialogue pas pour avoir le dernier mot ; mais plutôt pour découvrir ensemble la vérité et la justice.
13. « L’Église-Famille » de Dieu en Afrique doit aussi témoigner de la justice et de la paix, sur le continent et dans le monde : « Heureux les artisans de la paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux les persécutés pour la justice, car le royaume des deux est à eux ». (EIA, 105).
14. Le dialogue est enrichissant s’il est une rencontre de l’autre. L’autre doit avoir sa consistance propre et que l’affrontement soit animé par l’espoir du rapprochement entre les interlocuteurs et qui s’estimeront davantage après leurs entretiens, qui se reconnaîtront frères, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26-27). Nous souhaitons un dialogue fraternel qui consiste pour chacun, à mettre provisoirement entre parenthèses ce qu’il est, ce qu’il pense, pour essayer de comprendre et d’apprécier positivement, même sans le partager, le point de vue de l’autre.
La bonne gestion des biens et des personnes
15. « Le bien commun réside surtout dans le sauvetage des droits et des devoirs de la personne humaine, dès lors, le rôle des gouvernants consiste surtout à garantir la reconnaissance et le respect des droits, leur conciliation mutuelle, leur défense et leur expansion et sa conséquence à faciliter, à chaque citoyen, l’accomplissement de ses devoirs. Car, la mission essentielle de toute autorité politique est de protéger les droits inviolables de l’être humain et de faire en sorte que chacun s’acquitte plus aisément de sa fonction particulière ». Cet extrait de Radio-Message du Pape Pie XII, en la fête de Pentecôte 1941, est encore d’actualité. La gestion des hommes et des biens appelle un climat de paix, de confiance, de respect mutuel et de tolérance.
16. Les relations entre l’État Congolais et l’Église Catholique, sont loin d’être conflictuelles. Le président de la République, qui vient de rendre une visite au Saint- Père, le 29 mai 2000, a souligné l’intérêt qu’il attache à la bonne entente entre les deux entités : l’État et l’Église. Nous espérons que cette visite et les engagements pris à Rome vont davantage redonner confiance à l’Église particulière du Congo. Elle est parfois accusée de vouloir faire de la politique lorsqu’elle dénonce toute forme de violation des droits de l’homme et de la dignité humaine.
17. « L’Église est experte en humanité ». Et elle doit être présente à toutes les souffrances et misères des hommes et des femmes. L’Église, fondée par Jésus- Christ, a l’ambition de structurer le réel de sa présence. « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église ». Les angoisses que nous avons vécues et qui ne sont pas encore pleinement dissipées, nous apprennent au moins la nécessité pour un pays, pour sa survie, d’avoir un État respecté par tous, quelle que soit la diversité d’opinions.
18. L’Église diffuse son enseignement. Et à partir de celui-ci, elle peut être conduite à apprécier n’importe quel régime. Mais une telle analyse ne saurait donner à l’Église la prétention de gérer elle-même la cité où à lui proposer des institutions idéales. L’Église l’a déjà fait savoir à Dolisie en 1986 : Il appartient aux citoyens, avec un sens moral affermi par l’enseignement de l’Église, de mettre en œuvre leurs responsabilités, pour substituer au brigandage souvent décrié des pratiques politiques saines (cf. Le chrétien, messager de la paix, 1988, Parole d’Évêque n°1).
La franche collaboration
19. L’Église invite les pouvoirs publics et autres institutions (Église comprise) à instaurer la bonne gouvernance. Mais pour devenir réalité, cette bonne gestion doit s’effectuer dans un environnement sain, à travers nos Commissions Épiscopales :
- Pour le développement et les œuvres sociales avec Caritas-Congo ;
- Pour la communication sociale avec Comafrique ;
- Pour l’Évangélisation des hommes politiques avec Terram-Pacis et avec la Commission Épiscopale chargée des Relations avec l’État.
20. L’Église déplore l’affaiblissement de la solidarité et relève l’avènement du citoyen spectateur et complice de certaines situations, ce qui est inquiétant pour l’avenir de la Démocratie. Cette situation déplorable découle de la crise d’autorité. Dans notre pays, les élus réclament souvent des moyens pour équiper les localités qu’ils représentent, cela est tout à fait normal. Des administrateurs, des chefs de services dans tous les domaines de la vie nationale obtiennent des crédits et autres facilités.
Mais que feront-ils des fonds publics mis à leur disposition ?
21. On les gère souvent d’une manière fantaisiste. Parfois les travaux à réaliser sont surfacturés, quand ils ne sont pas fictifs. On privilégie l’intérêt privé, au détriment de l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre. Les guerres et les pillages servent souvent des prétextes pour détourner des fonds publics. Il y a plus grave, certains considèrent le patrimoine national qu’ils gèrent comme leur propriété privée.
L’accession à d’importantes responsabilités donne tous les droits à ceux qui les exercent. Et on se croit tout permis. Le développement de notre pays est, en grande partie, entravé par la recherche effrénée du profit, du gain facile. Nous constatons, malheureusement, que la plupart des crimes commis sont impunis. Si on veut voir en l’autorité publique le centre de la cohésion sociale, il importe de prendre des mesures qui s’imposent.
22. Des textes existent. Par exemple, cette note circulaire du chef de l’État adressée aux ministres, secrétaires d’État, directeurs et chefs de service centraux, en février 1970. Y figurent des mesures sévères à l’endroit des coupables de détournement des deniers publics, une sorte de tarification qui établit l’équivalence des délits et des peines.
En plus du fait que l’État congolais à l’impérieux devoir de payer régulièrement les salaires, pensions et bourses, il lui faut combattre l’égoïsme, le mépris du bien commun, le favoritisme ou le népotisme.
23. L’Église qui est au Congo est en parfait accord avec ce qui dit le Pape Jean XXIII, dans Pacem in Terris : « l’intérêt commun exige que les pouvoirs publics, en ce qui concerne les droits de la personne, exercent une double action, l’une de conciliation et de protection, l’autre de valorisation, tout en veillant soigneusement à leur judicieux équilibre ». L’Église attend des pouvoirs publics des garanties pour le libre exercice de son action socio-pastorale.
24. Pour exercer effectivement sa mission d’Évangélisation, l’Église qui est au Congo a besoin de moyens pour la reconstruction de ses édifices, églises, presbytères, résidences, salles polyvalentes, séminaires, salles d’œuvres, etc...
25. Dans le domaine de l’Éducation, l’Église a accueilli avec satisfaction et reconnaissance, la signature, le 5 janvier 2000, de la Convention sur l’Enseignement entre le Gouvernement et l’Église Catholique qui est au Congo. Cette dernière souhaite qu’elle engendre un accord cadre ou une commission mixte.
26. L’Église est désireuse de se doter, d’une part, d’un institut de maintenance, dont l’implantation est prévue à Pointe-Noire, conformément à la décision de l’ACERAC sur l’expansion de l’UCAC (Juillet 1999) et d’autre part, d’une radio catholique.
CONCLUSION
27. « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20). Peuple de Dieu, hommes de bonne volonté, après tant d’épreuves, l’Évangile nous invite à nous remettre résolument debout pour reconstruire ensemble notre Église-Famille et notre nation où les vieux seraient honorés, les femmes respectées, les jeunes protégés et les malades assistés : « Que cette année jubilaire soit un temps de conversion profonde et de joyeux retour vers Toi. Qu’elle soit un temps de réconciliation entre les hommes et de concorde retrouvée entre les Nations ». (Prière du Pape Jean Paul Il pour le Jubilé de l’an 2000).
LES ÉVÊQUES DU CONGO
1. Mgr. Barthélémy BATANTU, Archevêque de Brazzaville ;
2. Mgr. Anatole MILANDOU, Évêque de Kinkala, Président de la CEC. ;
3. Mgr. Bernard NSAYI, Évêque de Nkayi ;
4. Mgr. Ernest KOMBO, Évêque d’Owando ;
5. Mgr. Hervé ITOUA, Évêque de Ouesso ;
6. Mgr. Jean-Claude MAKAYA, Évêque de Pointe-Noire.