CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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APPEL DES ÉVÊQUES DU CONGO AU SORTIR DE LA MEURTRIÈRE GUERRE DE BRAZZAVILLE : AVRIL 1997

samedi 6 juin 2020

PAROLES D’ÉVÊQUE N° 13

ÉMERGENCE

« Des ruines de la guerre et de notre médiocrité, émergeons ! »

Chers frères et sœurs, chers compatriotes,

1. Au moment où grâce à Dieu nous sortons de cette terrible et éprouvante guerre civile, où chacun de nous a connu sa part de souffrance, de pillage, de désolation et de mort, nous vous sommes solidaires et vous appelons à l’émergence, pour rebâtir notre tissu social et économique.

2. Les grands peuples sont ceux qui, après une calamité injuste et imposée, savent se ressaisir pour analyser avec objectivité et sérénité leur souffrance et entrevoir des pistes de sortie définitive de la crise. Notre cri de cœur, en ces jours, doit être celui du continent européen au sortir de la seconde guerre mondiale : « plus jamais de guerre ». Bien plus près de nous, nos frères du Bénin nous enseignent ceci : « Plus jamais de sang béninois pour satisfaire des appétits politiques ».

3. Nous Congolais qui avons, après avoir analysé dans le maquis de cinq mois, les mobiles et les pierres d’attentes qui ont conféré ampleur et dramaticité aux souffrances et aux destructions qui ont été infligées à notre pays et à notre peuple, nous pouvons laisser à l’histoire l’expression de cette prise de conscience :

« Émergence ! Sortons de la médiocrité qui fait que nos richesses et nos différences ethniques soient exploitées par des prédateurs, pour fragiliser, nous exploiter et plus jamais de guerre au Congo ! ».

Nous sommes conscients qu’aucun pays ne s’est jamais développé en entretenant une lourde économie de guerre. Alors pourquoi ce triste record de guerres civiles, l’une plus tragique et meurtrière que l’autre ?

Chers frères et sœurs, chers compatriotes,

4. Réveillons-nous ! À qui profite aujourd’hui toute cette calamité ? Aux vainqueurs ou aux vaincus ? Aux prédateurs de toute origine ou aux multinationales qui vont refaire leur retard en reconstruisant hypothétiquement notre pays ? Sur qui pèserait la dette de cette guerre moderne et sophistiquée ? Et combien de générations devront voir leur bien-être et leur avenir sacrifiés pour la rembourser ?

5. Le tissu relationnel de notre peuple a été sacrifié sur l’autel des apôtres de la division, pour mieux régner et mieux assujettir. Comme si un malheur ne venait jamais seul, toute la communauté humaine internationale est restée passive et peut- être complaisante, face aux souffrances dont il sera difficile de prouver l’innocence de certaines grandes nations pourvoyeurs en armes et en idéologie de division.

6. Le drame congolais s’est joué loin des amis et partenaires en temps de paix et de prospérité, qui ont pris le soin d’évacuer tous azimuts les expatriés, vrais hommes du reste, nonobstant la signature du premier cessez-le-feu comme si la suite des événements était déjà programmée. Pauvre peuple congolais, notre peuple !

N’étais-tu pas victime d’un grand règlement de compte dans les sphères des puissants de la politique et de la finance qui assujettissent notre pays ? Quand l’on sait les légendaires luttes pour la défense passionnée des droits des autres éléments de la création bien précieux de l’homme.

7. Ton drame s’est consumé dans l’indifférence et la recherche effrénée du mutisme, puisque le parfum de ton sol est plus attrayant que le flot de ton sang. Désormais, tu n’auras d’autre vrai défenseur que toi, d’autre vraie providence que le Dieu du Ciel, le travail de tes mains, et ta conscience de l’intérêt de la communauté nationale. Les passions politiques et les intérêts économiques tiendront difficilement compte de ton vrai bonheur. Ton Émergence est diamétralement opposée à la leur. C’est pourquoi si tu veux émerger de la cendre où t’a enfoncé cette guerre de cinq mois, rappelles-toi d’un peuple que l’on cite en exemple pour la créativité et le dynamisme que les affres de la guerre ont suscité en lui : le peuple japonais. Relativisant toute gloire militaire, il a travaillé à la vraie puissance qui vaille, la puissance que procure le développement économique.

Chers frères et sœurs, chers compatriotes,

Et si le Congo pouvait oublier pour au moins une dizaine d’années toute passion des armes et prohiber toute acquisition dans ce domaine pour ne se consacrer qu’à rebâtir notre tissu social et économique délabré. Nous avons certainement offert au monde le spectacle et le témoignage d’un peuple le plus divisé et le plus belliqueux. Puissions-nous maintenant proposer, exténués par ces exploits macabres, le rayonnement d’une vitalité dans la réconciliation et dans l’engagement au développement économique de notre Nation.

Chers frères et sœurs, chers compatriotes,

8. La paix durable et définitive est possible. Nous sommes un peuple profondément religieux et chrétien. Nous avons plus de raisons de nous comprendre, de nous pardonner et de nous aimer que celles pour nous diviser et nous entretuer. Pour que se rétablisse vite un climat de véritable paix et de réconciliation sincère :

  • Bannissons la chasse aux sorcières.
  • Délaissons la pratique honteuse et dangereuse des règlements de comptes.
  • Abandonnons des propos exaltants notre soi-disant victoire sur les autres.
  • Évitons tout complexe de vaincus, de frustrés et d’humiliés.
  • Renonçons à la pratique éhontée de pillages et recels commandités.
  • Gardons-nous d’humilier et d’isoler au-delà du tolérable les peuples des régions qui ont perdu la guerre.

Chers frères et sœurs, chers compatriotes,

9. La reconstruction du pays n’est pas une mince affaire. C’est plutôt une entreprise qui exige de tous beaucoup de générosité, d’initiatives et de créativité. Voyons comment sont réduites nos maisons d’habitations, nos églises, nos temples, nos écoles, nos magasins, ainsi que nos hôpitaux.

10. Il y a des gens qui ne réussiront plus jamais à s’offrir un toit. Nous pensons à nos retraités, aux chômeurs, aux pauvres. Nous invitons instamment les nouvelles autorités qui héritent de la victoire militaire et des hommes meurtris et appauvris de bien vouloir en tenir compte.

Une certaine détaxation des produits de première nécessité ainsi qu’une subvention par l’État des matériaux de construction contribueraient à atténuer cette grande humiliation qui porte en germe des velléités susceptibles de compromettre un peu plus ce retour à la paix que nous avons accueilli avec soulagement.

11. Après tant d’épreuves, cherchons à offrir à l’ensemble de notre peuple un peu de dividendes de cette manne pétrolière qui améliore et transforme la vie de tant d’expatriés et qui ne les font nullement hésiter d’embraser des pays quand ils s’en sentent privés.

Chers frères et sœurs, chers compatriotes,

12. En remerciant le Seigneur, la Vierge Marie, ainsi que tous les Saints pour cette paix qui revient, nous vous prions d’avoir une pensée pieuse pour toutes les victimes de cette guerre et pour que naisse un véritable élan de solidarité qui fasse que les richesses et les biens de la Nation profitent cette fois un peu plus aux filles et fils de ce pays.

13. Puisse le Dieu de la paix, panser les cœurs meurtris et réconcilier dans la sincérité, toutes les filles et tous les fils de ce pays, tout en nous offrant des lendemains de paix, de stabilité et de prospérité. Que le Congo devienne une Nation stable, réconciliée, prospère.

Amen !

 

 


 
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