CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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LE DISCERNEMENT CHRÉTIEN DEVANT LES CHOIX

samedi 6 juin 2020

PAROLES D’ÉVÊQUE N° 13
(25ÈME ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA CEC À BRAZZAVILLE, LE 26 AVRIL 1997)

«  Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait  » [RU 12, 2).

1. Les paroles de Jésus : « Ils voient sans voir, et entendent sans entendre ni comprendre » (Mt 13, 13) sont toujours de circonstance pour nous aujourd’hui. Jamais au Congo, autant d’hommes et de femmes ne se sont référés à l’Écriture, ce dont nous nous félicitons. Mais encore faut-il un guide (Ac 8,31) pour comprendre la Parole de Dieu et la mettre correctement en pratique.

2. Or la multiplicité des interprétations données, notamment à travers la lecture faite dans les assemblées chrétiennes et les nouveaux mouvements religieux, mais aussi dans notre propre Église Catholique, nous oblige à vous parler de discernement.

LE DISCERNEMENT

3. En effet, plus que jamais, le discernement s’impose. On parle de discernement des vocations, de discernement des paroles prophétiques, durant la prière, de discernement des charismes et dons divers. Plus largement encore, comme il est devenu habituel de le dire depuis le Concile Vatican II, nous sommes invités à discerner « les signes des temps » : « le peuple de Dieu s’efforce de discerner dans les événements, dans les exigences et les requêtes de notre temps les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu » (GS n° 11). Qu’est-ce que le Seigneur nous dit, à quoi devons-nous être attentifs pour organiser notre vie dans le monde d’aujourd’hui, pour vivre au Congo en ces temps-ci ?

4. Le discernement, c’est la faculté d’apprécier avec justesse les situations, les choses. C’est le fait de distinguer le bien du mal. C’est aussi le fait de faire opportunément des choix.

Et pour nous chrétiens, cette appréciation juste des situations suppose que l’on regarde avec les yeux de Dieu et que l’on entende avec les oreilles de Dieu (cf. Mt 5, 47-48). Sinon, à quoi cela servirait-il d’être chrétiens, si nous voyons et entendons comme tout le monde ?

DISCERNEMENT DES CHEMINS DE LA PAIX

5. En ces jours que nous vivons, nous avons pensé que notre devoir est de vous aider à discerner les chemins de la paix : « ce que veut le Seigneur, c’est ta paix » (Ps 85, 9). Nous avons beaucoup d’occasions de faire la paix, dans nos familles, au travail, lors de diverses rencontres. Mais votre cœur s’y refuse.

6. Durant nos Eucharisties, nous supplions l’Esprit de Dieu de nous faire « le don de la paix  ». Le Célébrant souhaite à tous la présence de la paix : « que la paix du seigneur soit toujours avec vous ». Les chrétiens se souhaitent cette paix à travers un geste désormais familier. À la fin de la célébration, nous sommes invités à retourner chez nous « dans la paix du christ ». Le monde entier a besoin de paix, dans les familles, paix dans les quartiers, paix dans les régions, dans les pays, paix dans les cœurs. Comme le dit l’Apôtre Paul, « poursuivons ce qui favorise la paix et l’édification mutuelle » (Rm 14, 19).

7. Il nous faut discerner la paix des hommes et la paix de Dieu. Car Jésus, Prince de la paix, ne nous donne pas « la paix, mais sa paix », et il ne nous la donne pas à la manière des hommes. Il déclare lui-même « heureux les artisans de paix » (Mt. 5, 9). Et, à ses disciples, sachant qu’il va retourner vers le Père, il laisse comme cadeau, manifestation de la présence de l’Esprit-saint, le don de la paix : « je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, je ne vous la donne pas comme le monde la donne » (Jn 14, 27).

QUELLE PAIX ?

8. La paix, ce n’est pas l’absence de guerre, l’équilibre de la terreur. Un dicton affirme même : « si tu veux la paix, prépare la guerre », montrant ainsi que, si tu es fort, bien armé, ton ennemi hésitera à t’attaquer et tu dormiras tranquille. La paix de Dieu n’est pas cette logique. Nous le savons bien, on peut signer ensemble des accords de paix, boire et manger ensemble pour signifier notre bonne entente et notre volonté de paix, laver ensemble nos mains pour manifester notre réconciliation, sans qu’il y ait de véritable paix, celle de Dieu. Qu’est donc cette paix de Dieu, celle que nous voudrions vous aider à discerner ?

9. Vous le savez, on peut manger et boire ensemble sans avoir le cœur tranquille ! En effet, si nous n’aimons pas notre invité, même en voulant lui montrer notre bonne volonté, il peut penser que nous l’avons invité simplement pour le tromper, voire l’empoisonner, et il ne mangera pas en paix.

10. La Paix de Dieu, source de toute véritable paix, c’est cette paix intérieure, cette paix du cœur, cette harmonie de l’homme avec lui-même et avec les autres que seules la prière et l’union à Dieu peuvent nous donner.

Alors, nous verrons avec les yeux de Dieu et entendrons avec les oreilles de Dieu. Cette paix bannit toute peur, tout désir de vengeance, tout besoin d’arme de guerre pour construire l’unité et la justice.

11. Seule cette paix reconstruira l’unité dans nos familles séparées, divisées, haineuses, le jour où les conjoints se verront avec les yeux de Dieu. Seule cette paix construira l’unité dans nos paroisses, nos quartiers, nos écoles, notre pays, quand nous nous regarderons et nous entendrons les uns les autres, sans peur, sans soupçon de tromperie.

12. Or, nous pensons que cette paix est encore peu présente dans notre pays, dans nos Diocèses, dans nos paroisses, dans nos familles, dans nos vies. Cette paix, « le monde » ne nous la donnera pas, car c’est la paix de Dieu. Aussi, c’est à nous, vos Pasteurs, de vous demander d’accueillir en vos cœurs cette paix divine, de supplier Dieu pour qu’elle se répande dans le cœur de tous les Congolais, afin que nous puissions ensemble construire notre pays.

13. Mais cette paix des cœurs n’est ni naïve, ni béate. Elle doit nous permettre de voir et d’entendre la volonté de Dieu dans notre vie de chaque jour. Encore faut-il que nous acceptions d’ouvrir nos yeux et nos oreilles pour discerner sa présence dans la société congolaise où nous devons être des artisans de paix. Voilà pourquoi nous voulons vous proposer quelques principes et critères de discernement pour marcher sur les chemins de la paix. S’ils ont valeur universelle, ils sont plus particulièrement importants pour nous, Congolais, durant ces périodes électorales.

PRINCIPES

14. Vous le savez bien, l’Église Catholique n’est pas un parti, n’a pas de parti et n’est pas pour un parti. Aucun parti, ne peut s’accaparer les chrétiens, unis dans la diversité, ni confisquer l’Évangile qui est au-dessus de tout. Chaque chrétien peut travailler dans n’importe quel parti, à moins que dans ses statuts, des articles contredisent explicitement la volonté de Dieu et la doctrine de l’Église.

15. Nous le savons bien, chrétiens, selon vos origines et vos sensibilités, vos voix se partagent entre tous les candidats, et cela n’est que normal. La seule chose que l’Église demande, c’est de voter et de voter selon sa conscience. Aussi, vous devez satisfaire aux opérations d’inscription sur la liste électorale pour ensuite voter sans succomber à quelque pression que ce soit. Tout homme est libre de voter pour le candidat de son choix. Le chrétien est citoyen et doit se comporter en conséquence, même s’il n’y a pas de parti politique modèle et de candidat idéal.

16. Le vote reste un problème personnel de conscience ; nous voulons vous redire que durant toutes ces périodes de campagne électorale et aussi de communication des résultats, un chrétien doit toujours se tenir sur ses gardes et discerner le vrai du faux pour sauvegarder la paix. Prenez garde aux rumeurs ! En son nom, on peut vous pousser, à votre insu, à commettre ce qui est contraire à votre foi. Avant d’agir, vérifiez, consultez, ne croyez pas n’importe quoi, car c’est ainsi que peut se commettre l’irréparable.

17. Chrétiens, vous devez être le levain dans la pâte, capable de réagir devant la tromperie, le mensonge, la tricherie, pour ouvrir les chemins de la paix. Pour cela, nous voulons vous redire quelques critères qui doivent vous servir pour discerner la volonté de Dieu.

CRITÈRES

18. En aucun cas, les élections ne peuvent constituer un prétexte pour ne pas aimer son prochain, quel qu’il soit, l’amour est au cœur de l’enseignement du Christ et ne peut souffrir d’aucune exception. L’adversaire politique ne peut jamais être considéré comme un ennemi à abattre.

19. L’homme de foi se distingue par son attitude de tolérance. Que ce soit dans le sport, la politique, toutes sortes de compétitions, tout le monde ne peut l’emporter à la fois, c’est la loi de la Démocratie ; mais vainqueur ou vaincu, il faut respecter les autres. Chrétiens, montrez-vous l’exemple dans l’Église ? Dans le choix de vos responsables paroissiaux, comment vous comportez-vous ? Si déjà dans vos paroisses, vous ne vous habituez pas à la transparence, à la tolérance, dans le choix de vos responsables dans la vie sociale.

20. La non-violence reste une vertu pour aujourd’hui. Est-on encore chrétien si l’on accepte de piller et de casser la maison d’un adversaire ? Pour quel intérêt ? Un frère, de la mouvance ou de l’opposition, reste toujours un frère. Est-on encore chrétien si l’on accepte de blesser, de tuer un voisin, sous prétexte de divergence ethnique ou politique ? Pour quel profit ? Vous les Anciens, pères et mères, ne démissionnez jamais dans votre rôle primordial d’éducateurs, ne laissez pas vos enfants prendre le chemin de la drogue et de la violence. Vous, les femmes, votre place est grande pour mettre vos enfants sur les chemins de la paix. Qui tue ? Ce sont surtout les hommes.

Et qui pleure ? N’est-ce pas vous qui les premières, versez des larmes sur votre époux, sur votre enfant, victimes de la violence, de la terreur et du viol ? C’est dans la famille que Dieu vous attend pour remplir cette noble mission d’épouse et de mère chrétienne. Voilà pourquoi, nous ne pouvons tolérer des séparations et des divorces pour des raisons ethniques.

21. La recherche du bien commun et de la justice, le respect de la personne humaine et de la dignité doit sous-tendre l’action politique. Vous, les chrétiens qui êtes engagés dans les partis politiques, qui faites partie des forces de l’ordre, nous comptons sur vous pour stigmatiser ce qui pourrait être mépris des lois et constitutions, falsification dans l’élaboration des listes électorales et la proclamation des résultats. C’est surtout à ce niveau que vous devez agir ; de par votre Baptême, votre fonction royale doit s’exercer dans la recherche du bien commun et de la vérité. Vivez votre Baptême, non seulement à travers votre prière, mais aussi à travers votre engagement social pour que vos partis ne prennent jamais les chemins du mensonge.

CONCLUSION

22. Ainsi, si tous les chrétiens, à la suite du Christ, modèle de paix et de pardon, entrent dans cette dynamique de discernement, alors, pourquoi avoir peur ? (Ac. 2, 59).

Si pères et mères ouvrent les yeux de leur maisonnée, si prêtres et pasteurs redisent dans la prière les conditions de la marche vers la paix, si les responsables chrétiens de la société fustigent tout ce qu’ils discernent comme mensonge et violence, si chaque croyant et homme de bonne volonté se convertit et ouvre son cœur pour accueillir la paix de Dieu, alors, tous ensemble, nous construirons une société plus juste et fraternelle qui sera la joie et la fierté de chacun d’entre nous, pour l’avènement du Royaume de Dieu.

Fait à Brazzaville, le 26 avril 1997.

LES ÉVÊQUES DU CONGO

1. Mgr. Barthélémy BATANTU, Archevêque de Brazzaville ;
2. Mgr. Anatole MILANDOU, Évêque de Kinkala, nouveau Président de la CEC. ;
3. Mgr. Bernard NSAYI, Évêque de Nkayi ;
4. Mgr. Ernest KOMBO, Évêque d’Owando ;
5. Mgr. Hervé ITOUA, Évêque de Ouesso ;
6. Mgr. Jean-Claude MAKAYA, Évêque de Pointe-Noire.

 

 


 
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