CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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MESSAGE DES ÉVÊQUES DE L’ACRAC : 28 JUILLET 1996

vendredi 16 mars 2012

Paroles d’Évêque N° 12

MESSAGE DES ÉVÊQUES DE L’ASSOCIATION DES CONFÉRENCES ÉPISCOPALES DE LA RÉGION D’AFRIQUE CENTRALE
À
LA FAMILLE DE DIEU QUI EST EN AFRIQUE CENTRALE ET AUX HOMMES DE BONNE VOLONTÉ

« Recherchons [....] ce qui contribue à la paix et ce qui nous associe les uns aux autres en vue de la même construction » (Rm 14,19)

Introduction

1. Au moment où nous nous trouvons réunis au Grand Séminaire Émile BIAYENDA de Brazzaville pour notre Assemblée Plénière, Nous, Évêques de l’Association des Conférences Épiscopales de la Région Afrique Centrale (ACERAC), rendons grâce à Dieu qui nous a permis de nous retrouver ensemble pour prier, réfléchir et partager nos expériences, notre souci des Églises et aussi notre espérance, malgré la situation d’insécurité et de précarité qui prévaut en ce moment dans beaucoup de pays en Afrique.

2. Venus du Cameroun, de la Centrafrique, du Gabon, de la Guinée Équatoriale, du Tchad et du Congo, dans notre action de grâce, nous nous souvenons avec joie de la récente Assemblée Spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques comme un temps favorable accordé par Dieu à l’Église qui est en Afrique et qui chemine avec l’Église universelle vers la célébration du Grand Jubilé de l’An 2000.

3. C’est donc dans la fidélité au Synode Africain de 1994 appelé « Synode de la résurrection et de l’espérance » que nous (Évêques de l’Afrique Centrale), avons voulu vivre ces assises de Brazzaville en choisissant comme thème de réflexion et d’échange : « Église Famille et Développement ».

Église Famille et Développement

4. Faut-il encore préciser la pertinence de ce thème pour notre continent ? En parlant d’une Église Famille de Dieu, les « Pères du Synode y ont vu une expression particulièrement appropriée de la nature de l’Église pour l’Afrique. L’image, en effet, met l’accent sur l’attention à l’autre, la solidarité, la chaleur des relations, l’accueil, le dialogue et la confiance » (EIA. N°63). Quant au développement, il traduit pour tous les fils du continent africain l’aspiration à une vie meilleure.

5. En retenant le thème « Église Famille et Développement », notre intention est de bien cerner, conformément à l’orientation générale du Synode, comment aider les fils et les filles de l’Afrique aujourd’hui à s’ouvrir à l’Évangile du Christ, comme une Bonne Nouvelle capable de transformer leur vie, en rejoignant leurs aspirations les plus profondes et en éclairant leurs options et leurs engagements d’homme.

6. Tel est le but visé par les assises de Brazzaville ; telle est aussi notre préoccupation en adressant ce message aux fidèles catholiques de la Sous-région et à tous les hommes de bonne volonté. Au-delà des difficultés et des maux qui l’accablent, le continent africain doit se mettre debout, en retrouvant sa cohésion, dans un mouvement d’ensemble de tous ses enfants décidés à prendre en main leur propre destin.

7. Avec vous, Chers frères et sœurs, nous voulons, dans ce message, découvrir les chemins qui peuvent conduire aujourd’hui à la reconstruction de notre continent. Quatre points ont retenu notre attention :

  • Approfondir la vocation de l’Église Famille de Dieu ;
  • Relever le défi des divisions ;
  • Affronter ensemble le défi du développement ;
  • Chercher les solutions à ce double défi.

I. Église Famille de Dieu

8. Le Synode vient de nous le rappeler : en parlant de l’Église Famille de Dieu, il faut savoir revenir sur ce qu’implique cette image dans la tradition africaine : solidarité, accueil, attention à l’autre, partage, dialogue. Toutes ces valeurs qui rendent compte de la famille traditionnelle africaine la préparent à pouvoir devenir la Famille de Dieu, lieu de communion et de partage de tous les hommes.

9. À travers l’image de la Famille de Dieu, nous sommes donc invités à réajuster notre insertion et nos relations au sein de nos Diocèses, de nos paroisses et de nos communautés de vie, en acceptant de nous épanouir ensemble sans distinction de tribus, en privilégiant notre fraternité dans le Christ plutôt que nos solidarités ethniques. En restant fidèle à tous nos frères dans le sang, il s’agit également et surtout de prendre conscience, qu’en Jésus-Christ, par le Baptême, tout homme est devenu mon frère. Dans cette fraternité universelle se situe la nouveauté et l’originalité du message chrétien.

10. Membres de I Église Famille de Dieu, frères universels de tous les hommes, nous ne correspondons vraiment à notre vocation qu’en assumant cette fraternité non seulement dans le cadre de nos communautés ecclésiales, mais aussi en cherchant constamment à l’incarner dans la société, là où la politique et les exigences de la vie professionnelle nous amènent à faire des choix pour nous engager. Découvrir notre vocation de Famille de Dieu, c’est finalement renouer avec toutes ces valeurs qui faisaient la cohésion des sociétés traditionnelles africaines, et aussi accepter de les étendre à la dimension de toutes nos relations humaines.

11. Il est question alors d’aller jusqu’au-delà de nos différences, de promouvoir la tolérance, le pardon et la réconciliation pour que « le Christ soit tout en tous » et que son amour devienne effectivement ce qui nous rassemble, nous permet de nous accepter et d’agir ensemble.

12. Dans cette référence au Christ se situe le fondement de l’Église Famille de Dieu. De même, c’est dans l’ouverture à sa Parole que nous trouvons l’intelligence de notre fraternité et la force de vivre : il n’y a pas d’Église Famille qui puisse se construire sans la volonté des uns et des autres de se convertir en cherchant à « devenir Saints comme le Père céleste est Saint  » (Mt 5,48).

13. Famille de Dieu qui est en Afrique, laisse-toi réconcilier avec le Christ ! Ouvre tes traditions à la lumière de l’Évangile, afin que l’Esprit de Dieu détruise en toi toute puissance de mort et fasse triompher, sur tous tes enfants, ce qui est capable de les faire vivre.

- Et vous, communautés sacerdotales et religieuses,

- Vous, familles chrétiennes de nos villes et de nos villages,

- Membres des Communautés Ecclésiales de Base, d’Associations, des Mouvements d’Action Catholique, vous êtes tous de la Famille de Dieu. « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre ».

Vous formez un seul peuple et votre communion doit être parfaite pour que la Gloire de Dieu brille aux yeux de tous.

II. Le Défi des divisions

14. La vocation de l’Église Famille de Dieu nous amène, à présent, à apprécier lucidement et humblement le scandale des divisions qui accable aujourd’hui la société civile autant que nos communautés ecclésiales. Ici et là les causes sont les mêmes : tribalisme, peur et rejet de l’autre, course au pouvoir, préjugés nourris par le manque de dialogue et le repli sur soi : autant de facteurs qui génèrent et entretiennent, à tous les niveaux, l’esprit de division, la haine, les injustices et les guerres.

  • Il suffit de regarder ce qui se passe actuellement au Rwanda, au Burundi, en Somalie, en Sierra Léone, au Soudant et au Libéria.
  • Il suffit d’entrer dans nos presbytères, nos maisons religieuses pour se rendre compte que les Agents Pastoraux ont aussi besoin de lutter contre les discriminations et le manque de charité.
  • Il suffit de voir ce qui se passe au sein des familles pour mesurer la profondeur des blessures qui amènent souvent la séparation des membres.

14. Si nos Églises et nos communautés de vie portent ainsi les mêmes tares que la société civile en général, n’est-ce pas la preuve évidente que nous sommes tous issus d’une même famille et que cette famille doit se convertir aussi bien à travers sa mentalité que ses valeurs culturelles, traditionnelles ou acquises, qui commandent et orientent l’agir de tous ?

15. Le peuple d’Afrique, peuple de frères, il est temps que nous mettions un terme à nos divisions et à nos guerres fratricides. Avons-nous donc définitivement renié nos vertus de solidarité, de partage et de dialogue ? Avons-nous donc décidé une fois pour toutes de ne plus donner à la palabre africaine sa capacité de rassembler et de réconcilier ?

Que nous reste-il donc de nos valeurs africaines ? Pourquoi continuer à nous entredéchirer, négligeant de revaloriser et d’exploiter tout ce qui devrait nous unir pour bâtir ensemble des nations fortes et solidaires ? Pourquoi rechercher à tout prix un pouvoir qui ne peut tenir qu’en s’appuyant sur l’injustice et le mépris des droits de l’homme ?

16. Peuple d’Afrique, peuple de frères, tenons-nous la main dans la main pour relever le défi de nos divisions. Au nom de la solidarité africaine, nous vos Évêques et vos Pasteurs faisons appel à votre compréhension et à votre fierté des fils d’Afrique, vous tous qui avez la responsabilité de gérer la destinée de ce continent, pour ne pas le laisser mourir.

Nous invitons, à cet effet, tous les chrétiens Catholiques de la Région de l’Afrique Centrale à prier avec persévérance, pour que le Dieu de la paix éloigne des cœurs de tous les africains ce qui les oppose et les divise.

III. Le Défi du Développement

17. Un autre défi à relever est celui du développement dont le retard n’a d’égal dans notre continent que l’ampleur des problèmes qu’il pose. Le 32eme sommet de l’OUA en a fait le triste constat en ces termes : en Afrique, « l’espérance de vie est la plus faible, les taux de mortalité infantile et d’alphabétisation sont les plus forts, le PNB (Produit National Brut) par habitant est le plus bas..., en un mot, l’indicateur de développement est le plus faible ».

18. Comme pour les divisions dont nous venons de parler, une telle situation ne saurait nous laisser indifférents. Avant tout il s’agit, pour l’Afrique, de se forger une nouvelle conception du développement axé surtout sur l’épanouissement intégral de l’homme en renonçant à imiter servilement les modèles étrangers.

19. Mais dire que l’Afrique doit se forger une nouvelle conception du développement c’est reconnaître qu’elle doit partir d’emblée de ses réalités et tenir compte de ses besoins véritables, sans rechercher à se hisser absolument et tout de suite au niveau des performances des pays du Nord. Dans cette nouvelle perspective, ce qui est primordial c’est le service de l’homme. Cela revient à promouvoir un développement qui permet à tous d’accéder au plus-être et pas uniquement à un plus avoir ; un développement qui, en faisant appel à la participation de tous et de chacun, favorise le partage et pas seulement l’accumulation des biens.

20. Il faut pourtant le dire, nous n’arrivons pas à mettre un tel développement en route, encore moins à le gérer de manière satisfaisante, si nos intérêts particuliers sont constamment placés au-dessus du bien commun de nos nations : triste réalité, hélas, mille fois constatée dans les détournements, la corruption, les investissements de prestige, la priorité donnée à l’achat des armes et la recherche, à tout prix, du compromis qui tue le véritable jeu démocratique.

21. En conséquence, notre nouvelle conception du développement suppose que nous ayons le courage de rompre avec toutes ces habitudes néfastes mais aussi avec une certaine mentalité qui entretient chez nous l’attentisme, le défaitisme, la résignation, l’esprit magique dont le corollaire est la recherche des succès faciles. Nous n’accéderons jamais aux bienfaits et au bien-être que confère le développement sans susciter, en nous et au sein de nos sociétés, l’esprit d’initiative et de créativité ainsi que la pratique du suivi.

22. Dans le même ordre d’idée, il est urgent de favoriser l’intégration économique sous régionale et de reconsidérer la coopération avec les pays du Nord pour permettre à nos pays de tirer le meilleur profit des échanges multiples qui les lient à ces derniers. Certes, nous sommes conscients des pressions auxquelles sont soumis nos gouvernements en ce domaine. Mais ces pressions seraient plus difficiles à exercer si nos dirigeants étaient unis et solidaires de leurs peuples, en entretenant avec eux un dialogue constructif et sincère.

23. Le défi du développement nous convie, une fois de plus, à nous mettre ensemble pour construire l’Afrique en tenant compte des intérêts et du progrès de tous. Ceci implique avant tout la prise de conscience de notre interdépendance et de notre complémentarité dans la société, en même temps que notre souci de traduire effectivement une telle prise de conscience dans le respect du droit : droit privé des individus autant que le droit public régissant le partage des richesses dans le cadre d’un pays, à travers la planification des investissements.

IV. Quels remèdes pour de si graves défis ?

24. Chers fils et chères filles, frères et sœurs bien-aimés,

Face aux graves défis qui interpellent notre continent, en notre qualité de Pasteurs, nous venons tout simplement vous redire que l’Évangile qui constitue le fondement de nos vies est une parole qui sauve ; car il est une puissance de libération qui nous permet d’assumer nos divisions, de les dépasser, et de nous unir pour reconstruire ensemble notre continent qui s’effrite et s’écroule de jour en jour. C’est donc au nom de la foi que nous avons décidé de prendre ici la parole pour vous entretenir et vous rappeler à quelles exigences nous sommes tous tenus par notre foi au Christ.

25. Oui, parce que nous sommes des baptisés, nous ne devons pas accepter de vivre dans la médiocrité. Au contraire, au nom de notre Baptême et de notre foi, nous devons nous atteler à une recherche constante de la perfection dans tous les domaines de la vie : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5 : 48). Cela revient à dire, valoriser la vie au quotidien, en visant l’excellence dans tout ce que nous devons faire.

26. C’est également au nom de notre foi et de notre Baptême que nous devons refuser de nous accommoder des situations intolérables d’injustice et de violence, quelles qu’en soient l’origine et les causes. Plus positivement, la foi nous invite à développer en nous l’esprit critique et le courage de réagir, non seulement en contestant face aux situations sociopolitiques qui posent problème, mais aussi en initiant des actions positives et constructives.

27. Confrontée au harcèlement politique si souvent exercé sur nos populations, c’est toujours au nom de la foi que l’Église se prononce en faveur du système démocratique qui, dans les limites normales du jeu politique, convient mieux à la vision chrétienne de l’homme. En cherchant à sortir du sous-développement qui l’étreint de toutes parts, l’Afrique doit accepter de jouer franchement le jeu démocratique, en respectant toutes les règles fondamentales qui le caractérisent.

28. Dans cette ligne de pensée, nous devons comprendre que la Démocratie n’est pas une arène où l’on s’affronte pour un combat à mort, tout court, mais une confrontation responsable et respectueuse des différences et des droits légitimes des uns et des autres. Le débat politique doit toujours rester au service de l’homme et de l’intérêt général.

De même, les responsables politiques tirent leur légitimité du respect de la Constitution et de la mise en œuvre d’une politique au service du peuple. Pour asseoir leur autorité, ils n’ont donc pas besoin de se constituer des milices privées : l’armée est là pour la nation ainsi que la sécurité des personnes et des biens. Encore faut-il que l’armée elle-même soit fidèle à sa haute mission !

29. Pour que la Démocratie en Afrique serve au développement de l’homme, il importe de favoriser son expression au niveau du peuple : liberté de penser, liberté d’expression, liberté d’association et de réunion, accès aux médias. Il importe aussi de respecter scrupuleusement le verdict des urnes ; ce qui suppose au préalable, l’organisation et le déroulement des élections dans la plus grande transparence, avec un code électoral objectif accepté par la majorité et une commission électorale indépendante. Notre continent en mal de paix, de sécurité et de stabilité a besoin d’une telle rigueur.

Conclusion

Peuples d’Afrique, peuple de frères,
Chers fils et chères filles,

30. En concluant ce Message à l’intention des Chrétiens Catholiques de la Région de l’Afrique Centrale, nous Évêques de l’ACERAC, souhaitons rejoindre aussi l’ensemble de la Famille de Dieu qui vit au sein du continent africain ainsi que tous les hommes de bonne volonté épris de justice, de paix et de bien-être pour tous.

31. À travers notre Message, nous voulons partager avec vous l’espérance qui nous habite. Une espérance nourrie par la foi en Jésus-Christ, Sauveur des hommes. Une espérance qui nous pousse continuellement à nous engager pour la promotion de l’homme créé à l’image de Dieu et dont la dignité doit toujours être respectée partout et en toute circonstance.

32. Au nom de la foi et pour la promotion de l’homme en Afrique, nous nous engageons à continuer à nous investir dans la ligne de ce Message, pour que la grande famille africaine progresse dans l’unité, la paix, la justice et le mieux-être, en s’ouvrant à la Bonne Nouvelle du Christ et en sachant tirer du trésor de sa terre et de ses traditions tout ce qui peut l’aider à grandir dans la dignité et la fierté.

33. À travers ce Message, nous engageons solennellement toute l’Église Catholique en Afrique Centrale à s’impliquer dans les tâches du développement, notamment en ce qui concerne la santé et l’éducation : deux domaines clés indispensables pour amorcer le développement authentique dont notre continent a besoin.

Nous en appelons aussi à la solidarité de tous ceux qui disposent de moyens substantiels, argent ou ressources matérielles, pour qu’ils acceptent de contribuer au relèvement de l’économie dans la Sous-région en y investissant avec générosité.

34. Nous voulons lancer un appel spécial aux pouvoirs publics de nos différents pays : nous sommes conscients des difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs hautes responsabilités. Nous voulons cependant les encourager à rester solidaires de leurs peuples et à rechercher continuellement ce qui contribue à l’intérêt de tous.

Peuples d’Afrique, peuple de frères,

35. Avons-nous conscience de notre responsabilité devant l’histoire ? Quelle Afrique construisons-nous aujourd’hui ? Quelle Afrique allons-nous léguer aux générations futures ? Oui, il est temps de nous réveiller pour affronter ensemble les défis qui nous interpellent en cette fin du XXème siècle. Nous avons confiance en l’avenir de l’Afrique mais il faut que tous ses enfants se mobilisent pour construire cet avenir dans l’unité et la communion.

36. L’Afrique doit vivre et elle vivra I Telle est la conviction de vos Évêques et de vos Pasteurs. Telle est aussi leur prière qu’ils confient au nom de tous à la sollicitude maternelle de la Vierge Marie, Mère de Dieu, Mère de l’Église et Mère des hommes.

 

Les Évêques de l’ACERAC

 

 


 
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