CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE : 1978

vendredi 5 juin 2020

MESSAGE DES ÉVÊQUES ET ORDINAIRES A L’ISSUE DE LA SESSION DE 1978

« C’est pour que nous restions libres, que le Christ nous a libérés » (Ga 5, 1)


1. Dans notre pays, comme dans l’ensemble de l’Afrique libérée de la colonisation, nous assistons ces dernières décennies, à un heureux réveil de la personnalité des hommes, des citoyens et des croyants.

Ce réveil est une prise de conscience des responsabilités qui nous incombent et aussi de la dignité qui est la nôtre. Nous voudrions vous entretenir de cette dignité ou plus exactement de sa source : la liberté, d’elle, en effet, découle la vraie dignité de l’homme.

I. LA LIBERTÉ, FONDEMENT DE LA DIGNITÉ DE L’HOMME.

« Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance » (Gn 1, 26)


2. Par liberté, nous n’entendons nullement la licence de faire n’importe quelle fantaisie. Nous entendons la faculté qu’a l’homme de se conduire lui-même, de décider lui-même de l’orientation de sa vie. Sans cette faculté, il n’y aurait pas d’homme ; nous serions comme les animaux qui n’émergent pas hors de leurs déterminismes ; ils sont clos sur eux-mêmes, prisonniers de leur matérialité. L’homme, lui est un être ouvert, laissé à son propre jugement.

3. Cette liberté est l’effet de notre intelligence et de notre volonté. Elle est parmi les plus belles réussites de l’évolution créatrice par laquelle Dieu fait devenir tout ce qui existe. L’Écriture-Sainte nous laisse entendre que cette intelligence, cette volonté et cette liberté humaines sont proprement des dons divins, quand elle affirme que Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance.

Cette liberté ne nous est pas donnée toute faite, elle est à conquérir. De la même manière que nous avons eu et que nous avons encore à lutter pour l’indépendance nationale, de la même manière nous avons, chacun, à conquérir notre liberté personnelle.

4. En effet, beaucoup de déterminismes et de conditionnements pèsent sur elle. Pour n’en citer que quelques-uns, nous pouvons mentionner : nos manières toutes faites de penser, notre indolence qui permet à d’autres de penser à notre place, le joug de certaines coutumes, nos peurs, la honte d’affirmer notre conviction religieuse...

5. Nous vous encourageons à ne pas être comme la petite branche qui se courbe à tout vent, mais à être des hommes et des femmes qui agissent selon des convictions profondes. Nous vous demandons cette détermination et ce courage dans toute votre vie, mais principalement dans l’affirmation de votre foi. C’est en vous affirmant selon vos convictions, tout en respectant celles d’autrui, que vous serez libres et vraiment dignes d’être appelés des hommes.

II. LA LIBERTÉ INTÉRIEURE

« Jésus dit : Si vous demeurez dans ma Parole, vous connaîtrez la vérité et la vérité vous fera libres » (Jn 8, 31 )


6. Notre liberté chrétienne c’est d’abord notre liberté intérieure. C’est par une conviction de plus en plus profonde que nous devons témoigner de notre foi. Il est sans doute heureux qu’il nous faille beaucoup de courage pour nous affirmer en tant que chrétiens. Nous sommes ainsi obligés de nous ancrer davantage en Jésus-Christ de nous libérer intérieurement.

Nous ne pouvons pas être chrétiens par habitude, ni par entraînement sociologique. Les difficultés auraient tôt fait d’ébranler notre foi. Nous serons chrétiens si nous découvrons personnellement le Dieu Vivant qui s’est révélé en Jésus-Christ ; si personnellement nous mourons au péché et si nous ressuscitons à la vie nouvelle dans l’Esprit.

7. C’est pourquoi, Frères et Sœurs, nous vous affirmons que le premier obstacle à notre liberté chrétienne est l’ignorance, le peu de connaissance vivante que nous pourrions avoir de Jésus-Christ et de son message.

Nous vous exhortons à profiter de tous les moyens qui sont mis à votre disposition pour acquérir une meilleure connaissance de votre foi. Cette connaissance doit être proportionnée à votre niveau de culture profane. Si vous avez le niveau du baccalauréat, par exemple, vous ne pouvez pas rester avec les connaissances religieuses acquises au niveau du catéchisme primaire !

Votre foi, comparée à certaines philosophies vous paraîtrait infantile, désuète et antiscientifique. Cela ne veut pas dire que la foi mérite ces qualifications ; cela signifie que vous ne connaissez pas la foi telle qu’un adulte formé doit la connaître. Votre liberté est alors obscurcie par l’ignorance et vous n’êtes pas en mesure de faire un choix libre. Vous serez la victime toute indiquée de toute propagande erronée.

8. Un autre obstacle à la liberté intérieure réside dans le poids du passé. Certaines coutumes que nous ont laissées nos ancêtres sont excellentes, d’autres ne sont plus aussi bonnes. Ces coutumes nous donnent des pensées toutes faites et oppriment notre liberté intérieure. Au lieu de me laisser inspirer par l’Évangile et l’Esprit de Dieu dans la conduite que je dois tenir quand quelqu’un est malade ou meurt, quand une femme est à marier ou est veuve, je me laisse entraîner par des conduites ancestrales qui ne sont pas toujours et en tout point en accord avec la Bonne Nouvelle du Christ. Ces conduites ne relèvent pas de ma liberté chrétienne, mais d’un entraînement peu réfléchi selon l’Évangile.

III. LA LIBERTÉ EXTÉRIEURE

« Frères, vous avez été appelés à la Liberté... » (Ga 4, 13)


9. Notre liberté chrétienne doit aussi être une liberté extérieure. Même si au cours de ces deux mille ans d’histoire, l’Église a survécu au régime de la persécution, la situation normale est qu’elle jouisse de la liberté.

10. Puisque la dignité humaine exige que l’homme agisse selon ses convictions, il faut que la société permette à chaque homme d’agir selon ses convictions ; tant du moins que ses actions ne vont pas à rencontre de l’ordre, de la paix et de la prospérité publiques.

Nous nous félicitons de vivre dans un pays qui a inscrit ce principe dans sa construction et son acte fondamental et qui a ratifié la charte des Nations Unies qui affirme ce même principe. Cependant, nous demandons que ce principe soit aussi effectivement et équitablement appliqué. Il vaut non seulement pour les grandes Églises mais aussi pour celles qui sont plus minoritaires.

11. La liberté religieuse ne comporte pas feulement la permission de célébrer le culte à l’intérieur des édifices paroissiaux. Elle comporte aussi le droit d’affirmer sa foi dans toutes les circonstances de la vie : à la maison, dans la vie familiale, au travail, dans les loisirs... restant toujours sauves les justes lois qui régissent l’ordre public.

12. La liberté religieuse comporte aussi le droit pour les citoyens et donc aussi pour les chrétiens, de s’associer dans des groupements qui ont pour but l’animation spirituelle de la vie, l’aide caritative ou d’autres fins honnêtes et constructives pour la société.

13. La liberté religieuse permet aux parents de communiquer la foi à leurs enfants. L’homme et la femme ne sont pas seulement des géniteurs, mais des parents à qui revient en premier lieu l’éducation des enfants.

Les parents n’ont pas seulement à donner à leurs enfants le corps mais aussi le cœur. Personne n’a le droit de ravir aux parents cette prérogative. Si quelqu’un le faisait, il enlèverait une grande part de leur dignité humaine aux parents.

14. Le rôle des pouvoirs publiques, comme de l’Église d’ailleurs, est d’aider les parents dans leur rôle d’éducateur et non pas de profiter de leur faiblesse pour inculquer aux enfants une manière de penser que les parents n’approuvent pas.

Nous remercions les pouvoirs publics d’avoir la sagesse de permettre l’enseignement religieux, en paroisse, dans les quartiers et dans les villages. S’il y a eu rarement, il est vrai, certaines tracasseries nous pensons qu’elles sont le fait de certaines personnes mal éclairées et au zèle intempestif.

15. La liberté religieuse comporte également l’exclusion de toute discrimination qui serait basée sur la religion. Ainsi, il serait contraire à la liberté de conscience de refuser à des chrétiens certains postes, à cause de leur foi chrétienne. Nous répétons ici ce que les trois Évêques du Congo, dont notre regretté Cardinal Émile BIAYENDA, écrivaient en 1972 :

« Depuis douze ans notre peuple a retrouvé son indépendance et s’efforce de construire, malgré toutes les difficultés, la prospérité nationale. Il lutte contre le sous- développement pour assurer à toute la communauté et à chaque citoyen le plus-être et le mieux-être, dans le respect des valeurs de notre propre culture. Pour accomplir ce grand pas en avant, le Congo est engagé dans la voie du socialisme. Cette voie n’est pas, en soi, opposée au message évangélique, elle le rejoint même, dans la mesure au moins où elle n’est pas liée nécessairement à l’athéisme et à une conception qui méconnais et contrarie la vraie dignité et la destinée surnaturelle de l’homme... Notre pays a d’ailleurs tout à gagner de la contribution d’un chacun, sans qu’il y ait de discrimination en raison de la foi (...)

(...) Un chrétien n’est pas un mauvais citoyen en raison de sa foi. Il souffre généralement autant que les autres de la misère du peuple et aspire autant qu’eux à plus de justice et de prospérité. En raison de sa foi, il possède même un dynamisme qui le pousse à s’engager et à travailler de toutes ses forces pour le bien de son pays. L’Évangile comporte une authentique exigence de justice et de promotion humaine. Le progrès de notre pays exige que l’on ne divise pas les forces vives en laissant certains citoyens sur la touche, en raison de leur foi ».

16. Chers frères et Sœurs, nous réaffirmons aujourd’hui la même chose : votre place doit être entière dans la Communauté Nationale. S’il vous revient d’exiger cette place, il vous revient aussi de la remplir avec une conscience et une loyauté digne de la foi que vous professez.

17. Frères et Sœurs, nous le savons, la vie humaine est une lutte constante ; lutte contre-nous-mêmes, pour nous réduire en esclavage. Saint Paul nous dit ce que produisent ces forces mauvaises : fornication, débauches, idolâtrie (cf. Ga 5,19). Nous devons nous libérer de ces forces mauvaises et nous laisser animer par l’Esprit de Dieu. Si l’Esprit nous anime nous serons libres, nous serons vraiment nous- mêmes et heureux d’être ce que nous sommes.

18. Nous devons aussi lutter pour obtenir dans la société la place qui nous revient. Ce résultat nous l’obtiendrons par le témoignage de la vie chrétienne, c’est-à-dire par notre bonne conduite, notre ardeur au travail, notre loyauté et par l’optimisme radical qui vient de notre foi. Ce conseil est déjà celui que donnait Saint Pierre aux chrétiens de son temps : « Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute institution humaine... C’est la volonté de Dieu qu’en faisant le bien vous fermiez la bouche à l’ignorance de ceux qui refusent de reconnaître le vrai Dieu. Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteur de Dieu ». (1P2, 13ss)

19. En ce temps pascal, nous vous exhortons à regarder le Christ Seigneur, il a été mis à mort par la méchanceté humaine. Mais Dieu a montré que la vérité est en lui en le ressuscitant des morts, et en lui donnant tout pouvoir. Nous aussi, à la suite du Christ, nous devons faire triompher la vérité, mais pas par la violence, sinon nous serions du côté de ceux qui ont fait mourir le Christ. La vérité ne s’impose que par sa propre force et par l’amour. C’est ainsi qu’a agit le Christ dont nous voulons être les disciples.

20. Dieu éternel et Tout-Puissant, toi qui tiens en ta main le cœur des hommes et garantis les droits des peuples et la dignité de chaque homme, regarde avec bonté tes fidèles, tous les habitants de notre pays, ainsi que ceux qui exercent le pouvoir ; donne-nous la liberté intérieur et extérieure, afin que nous vivions dans la prospérité et la paix.

Que ton règne d’amour arrive. Par Jésus, Notre Seigneur.

 

Mgr. Georges-Firmin SINGHA, Évêque d’Owando, Président de la CEC ;
Mgr. Godefroy-Emile MPWATI, Évêque de Pointe-Noire ;
L’Abbé Louis BADILA, Vicaire Capitulaire de Brazzaville

 

 


 
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