HOMÉLIE DE LA MESSE POUR LE REPOS DE L’ÂME DU CARDINAL ÉMILE BIAYENDA, ASSASSINE LE 22 MARS 1977
vendredi 5 juin 2020
HOMÉLIE DE LA MESSE DU 25 MARS 1977,
POUR LE REPOS DE L’ÂME DU CARDINAL ÉMILE BIAYENDA, ARCHEVÊQUE DE BRAZZAVILLE,
ASSASSINÉ LE 22 MARS 1977
Messe présidée par Son Excellence Mgr. Godefroy-Émile MPWATI,
Évêque du Diocèse de Pointe-Noire
Excellence, Chers Confrères,
Et vous tous, Chers et Sœurs dans le Christ,
Il y a des expressions qui, permettez-moi de vous l’avouer, m’incommodent quelque peu, aux dernières heures des funérailles ; on attribue la fin de l’homme à la fatalité, au destin, au sort inéluctable qui n’épargne personne, comme si la destinée de l’homme se confondait avec le néant et l’absurdité.
Alors que, pour nous croyants, « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, et nul tourment ne les atteindra. Aux yeux des insensés ils ont paru mourir, leur départ a été tenu pour un malheur, et leur voyage loin de nous pour un anéantissement, mais eux sont en paix. S’ils ont, aux yeux des hommes, subi des châtiments, leur espérance était pleine d’immortalité ; pour une légère correction Us recevront de grands bienfaits. Dieu, en effet, les a mis à l’épreuve et H les a trouvés dignes de lui ; comme l’or au creuset, H les a éprouvés, comme un parfait holocauste, H les a égarés.
Au temps de leur visite, ils resplendiront, et comme des étincelles à travers le chaume ils courront. Ils-jugeront les nations et domineront sur les peuples et le Seigneur régnera sur eux à jamais. Ceux qui mettent en lui leur confiance comprendront la vérité, et ceux qui sont fidèles demeureront auprès de lui dans l’amour, car la miséricorde est pour ses saints et sa visite est pour ses élus ». (Sag 5,1-9). Et Saint-Paul recommande aux Thessaloniciens : « Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez, ignorants au sujet des morts, H ne faut pas que vous vous désoliez, comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. Puisque nous croyons que Jésus est mort et qu’H est ressuscité, de même, ceux qui se sont endormis en Jésus, Dieu les amènera avec lui. (...) Ainsi, nous serons avec le Seigneur toujours Réconfortez-vous donc les uns les autres de ces pensées ». (1 Th 4,15-14 ; 17c-18).
Voilà, mes frères, de quelle espérance nous devons toujours nous animer : être dans la main de Dieu, comme ces âmes des justes qu’aucun tourment n’atteindra, dans l’assurance d’être avec Dieu toujours. Et la promesse du Christ, la voici, à ceux qui lui resteront fidèles : « Que votre cœur ne se trouble pas ! Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures, sinon, je vous l’aurais dit : je vais vous préparer une place. Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, à nouveau je reviendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous aussi vous soyez ». (Jn. 14,1-5).
Ainsi, mes frères, demandons au Seigneur la grâce de rester disponibles à sa volonté sur nous, et d’être convaincus que tout nous arrive pour sa plus grande gloire et pour notre salut, c’est-à-dire pour notre bonheur éternel dans la participation à sa Gloire. Que nous puissions donc, dans les épreuves les plus décisives de notre vie, au bord du désespoir et du dépit, nous soumettre au Père comme le Christ, qui pouvait Lui dire avant de se livrer volontairement aux bourreaux : « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse ! » (Le. 22,42).
Mais une attitude si filiale n’est qu’une expression de foi, et d’une vie de foi, qui exprime le Christ à qui on se configure. Tout acte chrétien, tout acte de charité donc, n’a sa source que dans la foi, et dans la foi révélée par le Christ. C’est donc un acte du Christ, un acte qui nous lie à Dieu, à Dieu qui nous a placés sur cette terre comme ses serviteurs, qui nous demandera compte de notre gestion, et à qui nous en rendrons compte.
Sans cette référence à Dieu, Chers Frères, nous ne sommes pas capables d’un bien véritable ; plutôt, nous ne sommes capables que de mesquineries et de turpitudes, qui se couronnent par des actes d’horreur innommable, comme ceux qui nous affligent et nous couvrent de honte aujourd’hui, perpétrés devant nos yeux en l’espace de quatre jours : l’assassinat de notre Chef d’État, le Président Marien NGOUABI et de Notre Pasteur bien-aimé, Son Éminence le Cardinal Émile BIAYENDA, notre Archevêque. On soupire après une élite, et il faut en supprimer les membres ! Quelle logique !
Sans cette référence à Dieu, confessons-le une fois de plus, mes frères, à Nzâmbi-Mpûngu, le détenteur souverain de tout pouvoir et de toute autorité, et de qui découle tout pouvoir et toute autorité, sans cette référence à lui, eh bien, c’est la ruine de tout pouvoir et de toute autorité sur terre. Car pourquoi nous soumettrions-nous à un homme, à un mortel quoiqu’il soit, à qui nous reconnaissons des limites et des faiblesses ? Ruine du pouvoir et de l’autorité, entraînant la ruine de la paix et de l’ordre dans la société. Alors ne nous étonnons plus des actes de violence, des exploitations et des asservissements chez le plus fort.
Alors ne soyons plus surpris des actes de haine, de vengeance fratricide au sein d’une même société. Alors, c’est le triomphe de l’adage ancien, si célèbre « l’homme est un loup pour l’homme ». Car, quel reproche pouvait-on faire à notre Cardinal ? Un homme si droit, si honnête, si aimable et si aimé ; qui, en peu de temps a conquis l’admiration, la vénération et l’estime, tant de l’Église Catholique que du monde chrétien ? Un homme qui ne transpirait que la paix et la bienveillance, dont la présence même attirait comme irrésistiblement !
De partout, c’est la consternation et l’abattement devant le vide que la disparition de ce Saint Évêque laisse dans l’Église du Congo et dans la Société Congolaise. De partout, on ne parle que des malédictions et des malheurs qui planent sur nous, peut- être trop graves pour être conjurés et nous épargner la vengeance du Ciel.
Seigneur Jésus, envoyé par le Père pour guérir et sauver les hommes, prends pitié de nous ! Seigneur Jésus, toi qui as été envoyé par le Père pour lui réconcilier l’humanité pécheresse et coupable, prends pitié de nous ! Seigneur Jésus, toi qui, au moment de la crucifixion, oubliais tes souffrances pour pardonner à tes bourreaux, implorant ton Père miséricordieux : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font », prends pitié de nous ! Père, toi qui inspirais au Martyr Étienne d’implorer le pardon de ses bourreaux, lorsqu’il te suppliait par ces dernières paroles : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché ». (Ac 7, 60b), prends pitié de nous !
Et maintenant, Père très bon, dont la puissance consiste à avoir pitié et à pardonner, écoute les plaintes de tes enfants, qui gémissent et qui pleurent dans cette vallée de larmes ; prends pitié de ton serviteur le Cardinal, notre Archevêque Émile, que tu as placé à la tête de ton Église de Brazzaville.
Pour le peu de bien qu’il a pu faire dans ta famille, pour sa bonne volonté de te rester fidèle, nous te prions de lui faire entendre ta sentence finale destinée aux serviteurs fidèles : « Viens, le béni de mon Père, reçois en héritage, le Royaume qui t’a été préparé depuis la fondation du monde » ; ainsi que l’assurance faite au bon larron ; « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Le 23,43).
« Père, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Voilà bien éprouvée, ton Église ; au Congo, daigne la relever et la raffermir, Ravive en tous, Évêques, Clergé, Religieux, Religieuses et Laïcs le courage et la confiance qu’il nous faut pour tenir fermes en ces jours difficiles. Seigneur, toi qui nous commandes l’amour, la paix, l’ordre, parce que tu es toi-même amour, paix et ordre ; fais-nous vivre les uns pour les autres dans cet amour, dans cette paix et dans cet ordre dont tu nous fais un devoir grave.
Que ce « Sacrifice du soir » que tu as accepté de ton « Serviteur souffrant », contribue à obtenir de toi le pardon, l’amour, la paix et l’ordre dont plus que jamais nous avons besoin dans notre société, et nous assurer une place auprès de toi, en compagnie de notre Cardinal et de tous nos chers disparus !
(Instants de silence), puis « Notre Père... »
Mgr. Godefroy-Émile MPWATI Évêque de Pointe-Noire.