CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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DIALOGUE, VÉRITÉ ET JUSTICE

lundi 3 août 2020

PAROLES D’ÉVÊQUE n° 16

« Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s ’embrassent : »

1. Réunis pour la 29ème Assemblée Plénière du 07 au 13 Mai 2001, à Brazzaville (Scolasticat Saint Gabriel), nous avons réfléchi sur un thème d’actualité nationale, à savoir le Dialogue, le Pardon, et la Réconciliation. Ce sont les trois grandes orientations que nous nous sommes fixés dans la recherche d’un avenir de paix pour tous, au lendemain des trois guerres fratricides qui ont endeuillé notre pays. À la fin de cette rencontre, nous vos Pasteurs, vous adressons ce Message d’interpellation et d’espérance.

Notre conviction

2. «  N’ayez pas peur !  » (Jn 6,20)... Ce Jésus de Nazareth que vous avez crucifié, Dieu l’a ressuscité (cf. Ac 2,22-24). Il est vivant aujourd’hui ! Et nous savons que sa première parole au soir de Pâques n’est pas une parole de jugement, ni de condamnation pour ceux qui l’ont trahi, abandonné, crucifié. C’est une parole de paix : « la paix soit avec vous » (Jn 20,21). La paix de Dieu nous est donnée : voilà la Bonne Nouvelle pour nous aujourd’hui.

3. Certes, beaucoup d’entre nous ont terriblement souffert au cours de ces trois guerres. Combien de morts, de disparus, d’orphelins, de veufs et de veuves ! Combien de femmes violées, d’enfants traumatisés ! Combien de blessés, d’handicapés, et surtout combien de cœurs profondément blessés, humiliés ! Combien de maisons détruites, de biens brûlés et pillés ! Chaque famille ne compte-t-elle pas ? Tout l’investissement d’une vie de travail disparu en quelques jours !

4. Aussi, beaucoup d’entre nous se sont sentis abandonnés des hommes et même de Dieu. « Nous sommes fatigués de la guerre, en qui pouvons-nous encore avoir confiance ? ». Souvent nos cœurs sont pleins d’amertume et de découragement ; nous sommes résignés et ne voyons aucun avenir devant nous. Beaucoup de jeunes souffrent de se sentir oubliés de leur pays, sans écoles et sans possibilité de travail, ne sachant quoi espérer, et n’attendant plus rien de la Nation.

Des signes d’espérance.

5. Et pourtant, les signes de paix sont présents parmi nous, et nous remplissent d’espérance.

La sécurité n’est-elle pas en train de revenir dans l’ensemble du pays ? La circulation des personnes et des biens ne devient-elle pas possible ? Les salaires ne sont-ils pas en cours de régularisation, même si toutes les pensions ne sont pas encore versées ? Les infrastructures détruites ou abîmées ne sont-elles pas en voie de reconstruction, même si beaucoup reste encore à faire ? Et des personnes qui ne se rencontraient plus, ne se parlaient plus, n’ont-elles pas commencé à dialoguer ?

6. Ouvrons nos yeux, pour découvrir que nous sommes sur un chemin de paix, même si nous ne vivons pas encore dans une paix totale. Dieu nous donne sa paix et en étant attentifs à sa parole, nous recevrons progressivement le cadeau de cette paix. Toute la Bible nous l’enseigne : il n’y a de paix que dans le dialogue, la vérité et la justice. Le prophète Isaïe, prophète de l’espérance et de la paix, proclame : « La justice produira la paix » (Is 32, 15).

Pas de paix sans dialogue

Frères et sœurs,

7. Notre Dieu est un Dieu de dialogue. Quand nous contemplons l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, nous voyons que leur unité se vit dans un dialogue d’amour permanent. Chacun de nous est donc invité à partager le dialogue d’amour de Dieu Trinité. Chacun de nous est invité à recevoir et à donner. Le dialogue avec vos frères est un don de Dieu pour vivre un amour véritable entre nous, différents, mais tous enfants bien-aimés d’un même Père.

8. Poursuivre, approfondir chaque jour, et à tous les niveaux, le dialogue déjà commencé, est une nécessité vitale pour notre peuple. Nous enfermer sur nous-mêmes, sur notre souffrance, notre famille, notre région, nos acquis, est source de mort. Partager nos peines, nos souffrances et nos espérances est source de vie.

Pas de paix sans pardon

Frères et sœurs,

9. Nous qui avons tellement souffert, nous invitons, aujourd’hui, à recevoir cette espérance de la paix et du pardon. Regardons Jésus sur la croix : Voyons-Le, Lui, la victime innocente des hommes, cloué sur le bois de la croix. Nous l’entendons demander au Père de pardonner à ses bourreaux qui ne regrettent rien de ce qu’ils ont fait et continuent à l’insulter. Il dit : « Père, pardonne-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34). Demandons tous à Jésus de pouvoir entrer dans ce chemin de pardon, source de paix et de réconciliation pour le monde.

10. Entrer dans un chemin de pardon est humainement impossible, en raison de l’horreur du mal subi et de notre trop grande souffrance, mais en Dieu tout est possible. Nous ne pouvons pas rester enfermés dans notre souffrance qui nous détruit et risque de nous conduire à détruire les autres.

Seul le chemin du pardon pourra nous libérer de notre souffrance et de notre haine et ouvrir à une espérance. Alors, nous pouvons tous prier pour nos bourreaux et crier vers le Seigneur qu’il change nos cœurs et mette en nous la grâce de son pardon qui reconstruira toutes nos relations et rendra la paix à notre pays.

Pas de paix sans vérité

Frère et sœurs,

11. N’ayons pas peur de la vérité. Si elle peut blesser, le silence tue et le mensonge est source de guerre. La paix ne pourra pas se construire dans une volonté de silence et d’oubli. Nos cœurs pleins d’amertume risquent alors d’exploser une nouvelle fois avec toutes leurs souffrances. En effet, le silence ne reconstruit pas la dignité des victimes humiliées, il ne conduit à aucune reconnaissance du mal, il permet à ce mal de ressurgir un jour et laisse se préparer les vengeances de demain.

12. Dans la sagesse de nos ancêtres, les conflits étaient réglés dans une écoute attentive de toutes les parties, ce qui ne conduisait ni à un jugement, ni à une condamnation ou à une exclusion de certains membres de la communauté, mais à la recherche d’une forme de réconciliation et de réparation permettant de refaire le tissu social et de reconstruire l’unité. En vue d’un dialogue en vérité, quatre étapes sont nécessaires :

- Écouter la vérité de l’autre et sa souffrance ;

- Reconnaître notre part de responsabilité dans le mal commis ou subi ;

- Présenter le problème de la manière la plus objective possible ;

- Proposer une solution où chacun retrouve sa place et sa dignité.

13. Lorsque toutes les souffrances des guerres seront vraiment écoutées avec compassion, quand tous les auteurs d’actes mauvais auront le courage de dire : « oui, nous avons commis ces actes mauvais, mais aujourd’hui nous les regrettons vraiment », la paix sera effective. Lorsque tous ensemble, dans le pays, nous pourrons porter notre attention à tous ceux qui ont perdu des êtres chers et que nous chercherons des chemins de réparation, alors la paix prendra réellement racine parmi nous et notre amertume fera place à la reconnaissance mutuelle.

Pas de paix sans justice sociale

Frères et sœurs

14. Notre pays a la grâce d’être particulièrement béni de Dieu qui l’a comblé de richesses : ressources humaines, terre, eau, pétrole, bois... Ces richesses ont été données par Dieu pour nous tous. Tout dirigeant porte ici une lourde et délicate responsabilité envers tout le peuple congolais : responsabilité d’une gestion transparente, responsabilité d’une justice sociale.

15. Il n’y a pas de paix durable sans une bonne gestion du revenu national, sans emploi pour les jeunes, sans infrastructures essentielles : écoles, hôpitaux, routes, pouvant désenclaver nos capitales régionales. Le développement et la paix ne seront jamais possibles avec la croissance d’inégalités scandaleuses entre ceux qui ont et qui accumulent davantage et la masse de ceux qui n’ont rien.

Conclusion

Frères et sœurs

16. Cultivons dans nos familles, nos associations, nos communautés ce sens de la vérité, de l’écoute et du pardon. Dans nos écoles, donnons à notre jeunesse le goût de l’excellence, du travail bien fait et le respect du bien commun.

17. Pour nous y aider, nous avons préparé un document de travail. Nous vous exhortons à le mettre en œuvre et à construire des commissions « Justice et Paix » et à vous engager.

18. Soyons pleins d’espérance ! Le Seigneur nous laisse la paix, Il nous donne sa paix. Aujourd’hui nous pouvons la recevoir ensemble. Et ce chemin d’écoute, ce chemin de vérité, ce chemin de justice va nous conduire à une paix véritable, à une reconnaissance mutuelle, au pardon et à la réconciliation : « car c’est Christ qui est notre paix, lui qui des deux réalités n’a fait qu’une, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine... par la croix » (Eph 2,14-16).

19. Seigneur, source de tout bien, « ... Au sein de notre humanité encore désunie et déchirée, nous savons et nous proclamons que tu ne cesses d’agir et que tu es à l’origine de tout effort vers la paix. Ton Esprit travaille au cœur des hommes : et les ennemis, enfin, se parlent, les adversaires se tendent la main, des peuples qui s’opposaient acceptent de faire ensemble une partie du chemin.

Oui, c’est à toi, Seigneur, que nous le devons, si le désir de s’entendre l’emporte sur la guerre, si la soif de vengeance fait place au pardon, et si l’amour triomphe de la haine » (Cf. Prière eucharistique pour la réconciliation II).

Fait à Brazzaville, le 13 mai 2001

 

LES ÉVÊQUES DU CONGO

1. Mgr. Anatole MILANDOU, Nouvel Archevêque de Brazzaville, Administrateur Apostolique de Kinkala, Président de la CEC. ;
2. Mgr. Ernest KOMBO, Évêque d’Owando ;
3. Mgr. Hervé ITOUA, Évêque de Ouesso ;
4. Mgr. Jean-Claude MAKAYA, Évêque de Pointe-Noire ;
5. M. l’Abbé Louis PORTELLA-MBUYU, Administrateur Apostolique de Nkayi ;
6. Révérend Père Jean GARDIN, Préfet Apostolique de la Likouala.

 


 
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