CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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LE CONGO A FAIM ET SOIF DE PAIX : MAI 1998

samedi 6 juin 2020

PAROLES D’ÉVÊQUE n° 14
26ÈME ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE À KINKALA, MAI 1998

1. Notre pays vient de connaître une guerre fratricide d’une rare violence. Jamais de mémoire de Congolais, nous n’avons vécu d’aussi terribles événements. Les fils et les filles d’un même pays en sont arrivés à s’entre-tuer avec une haine féroce au point de n’épargner ni femmes, ni enfants. Nous en sommes, à des degrés divers, nous aussi meurtris.

Cette tragédie qui a endeuillé tant de familles innocentes, détruit des quartiers entiers de notre ville capitale et certaines de nos localités, a ruiné notre société et l’économie nationale. Elle compromet aussi, et pendant longtemps, l’avenir de notre Nation et particulièrement des jeunes ; elle nous interpelle au plus profond de nous-mêmes.

2. Le drame que vit le Congo n’est pas un fait du hasard. Il est l’aboutissement du grand désordre semé aux premières heures de la Révolution, désordre qui s’est manifesté de plusieurs manières :

  • L’imposition du socialisme scientifique et de l’athéisme ;
  • La nationalisation des écoles, des syndicats... ;
  • La suppression des mouvements d’éducation des jeunes au profit du mouvement unique de la Révolution ;
  • Le contrôle étatique de l’économie ;
  • Le détournement des fonds, répétés, impunis ;
  • La création de milices... ;
  • Une histoire jalonnée de coups d’état et d’assassinats politiques, arrosée de larmes et de sang, marquée par l’exil de nombreuses personnalités.

Tout cela ne pouvait qu’entraîner le désordre des esprits et des cœurs, le désordre moral...

3. Au sortir de la Conférence Nationale Souveraine, tous les espoirs étaient pourtant permis avec l’ouverture du pays à la Démocratie. Hélas, c’était pour entrer dans une période encore plus douloureuse : deux guerres civiles dévastatrices.

4. Nous sortons une nouvelle fois d’un long cauchemar ! Les canons se sont tus, les pluies d’obus se sont arrêtées. La paix, qui nous a cruellement manquée, revient effectivement, même si quelques tisons continuent de fumer çà et là. Aujourd’hui, les Congolais ont vraiment faim et soif de la paix, mais d’une paix véritable. Sera-t-elle durable, cette fois-ci ? De cette paix, nous, vos Pasteurs, nous nous préoccupons, afin qu’elle vienne !

5. Vous êtes nombreux, parents et plus particulièrement vous, les mamans, jeunes et enfants, à crier, à nous faire entendre votre ras-le-bol de la violence, du vol et du pillage, du viol et du meurtre, de la destruction des maisons et des cœurs. D’autres, au contraire, sont résignés, gagnés par la peur.

Ces clameurs nous traduisent votre faim et votre soif de la paix. Notre devoir de Pasteurs est de les répercuter, de les faire connaître à tous ceux qui portent les responsabilités du pays. Cette paix que nous souhaitons tous n’est pas une vue de l’esprit. Elle demande de chacun et de chacune d’entre nous des conduites concrètes, des comportements nouveaux.

APPELS

6. À vous, hommes politiques : vous qui aspirez à diriger ou qui dirigez le pays, mettez toutes vos compétences à servir notre Nation, avec désintéressement, dignité, sens de la personne. Soyez des hommes et des femmes d’unité, de dialogue.

7. À vous qui tenez les rênes de l’économie : laissez-nous vous le crier : le Congo est un pays riche mais scandaleusement appauvri ! Respectez le Congo : conduisez- nous sur les chemins de la réussite ; plus de gabegie ! Soyez responsables.

8. À vous, les partis politiques : vous êtes nécessaires, garant, à votre place, de la Démocratie. Mais, reprenant vos activités, sachez tirer les leçons de l’histoire ; soyez des écoles d’éducation civique, travaillez à la maturité politique du peuple.

9. Vous qui servez dans l’administration : vous êtes indispensables à l’instauration d’un véritable État de droit. Soyez présents, disponibles, intègres.

10. À vous qui rendez la justice : appliquez-la à tous les citoyens, sans distinction des personnes, soyez justes ! C’est votre devoir.

11. À vous, les forces armées :

- Il faut délivrer définitivement notre société des milices et des partis armés ; nous en avons trop souffert ! Tout délit sur ce point doit être sanctionné, les contrevenants étant exclus du champ politique et déchus de leurs droits civiques.

- Pour une paix durable, notre pays a absolument besoin d’une police, d’une gendarmerie et d’une armée vraiment nationales et républicaines. Vous êtes, vous la force publique, le garant de la sécurité de la Nation ; ne ménagez aucun effort dans ce sens ayant constamment le souci de la vérité, de la justice.

12. Au Gouvernement : vous devez relever, entre autres, le défi de la reconstruction. Vous qui dirigez les institutions politiques, économiques et administratives de notre pays, veillez à une gestion réaliste, à la distribution équitable des richesses nationales.

13. Au Conseil national de transition : soyez responsables, à l’image des chefs de villages traditionnels ; c’étaient des « anciens », des hommes d’écoute, de dialogue et de conseil, des « sages », gardiens du pays. Gardez le Congo !

14. Au Chef de l’État : au sortir de la guerre, vous avez tenu à tracer la route. Vous vous êtes préoccupé de la paix, de l’unité, de la réconciliation et de la reconstruction nationale. Nous vous encourageons à persévérer dans cette voie vitale pour tous.

15. À vous qui êtes hors du pays : le Congo doit pouvoir compter sur tous ses fils et ses filles. Où que vous soyez, faites tout pour promouvoir le dialogue, la concertation et initier le chemin de la Réconciliation.

16. Et le pétrole ? Notre Congo a de nombreuses possibilités de développement. Comment comprendre que pendant trois décennies, la régularité des découvertes et inaugurations des puits de pétrole, toujours plus importants, ne se soit accompagnée d’un quelconque signe visible de transformation de notre économie et de redressement de la situation sociale de la population ? Notre pétrole doit être un instrument pour la. Vie et non pour la mort de notre peuple !

17. À vous les hommes et les femmes de bonne volonté :

- Jeunes : vous avez été en même temps et les agents utilisés et les victimes de ces deux guerres qui ont plongé notre pays dans la misère. Ce n’est pas avec les armes et le pillage que vous construirez votre avenir, que vous vivrez mieux ; ce qui est mauvais, c’est ce comportement congolais tout orienté vers l’avoir, qui consiste à gagner sans effort, tout de suite et toujours plus.

Nous vous redisons notre conviction. La véritable réussite de la vie est dans le travail, fondement du développement, « ce nouveau nom de la paix » (Paul VI). Le moment est venu, pour vous jeunes, de vous détourner de l’engouement que vous avez pour la fonction publique et pour les armes.

  • Orientez-vous vers l’agriculture ! Le plus grand chômeur et le plus malheureux de notre pays est le sol congolais ; il cherche des bras pour se laisser cultiver et donner du fruit en abondance.
  • Prenez des initiatives pour l’emploi (maraîchage, artisanat, petites entreprises...)
  • Retrouvez le goût du sport, de la culture et des arts.

- Parents : vous êtes les fondements de la société ; c’est à vous, en premier lieu, qu’il appartient de faire naître les comportements, les règles de vie en famille et en société. C’est une lourde tâche, plus encore aujourd’hui ; ne baissez pas les bras.

- Vous mamans : ne l’oubliez pas ; vous êtes une force irremplaçable dans le combat quotidien pour faire grandir l’amour, pour faire grandir la vie !

- Et nous, chrétiens : Notre pays, nous le voyons est gravement malade. Nous devons tous, des évêques aux fidèles, nous mobiliser contre la division et l’exécution et nous engager pour la paix, la réconciliation. Laissons-nous évangéliser par l’Évangile de la paix et de l’amour et proclamons-le à temps et à contretemps. Construisons la paix autour de nous. C’est une exigence de notre foi.

18. Justice et paix

Pour nous aider à affronter ce défi, nous, vos Pasteurs, demandons qu’il y ait, au niveau national, diocésain et paroissial, une structure « Justice et Paix », chargée de promouvoir ces deux valeurs sociales évangéliques.

Son travail doit se faire à la base, dans les quartiers et les villages, tout comme au niveau régional et national. Sa mission est de :

  • Conseiller, réconcilier ;
  • Réfléchir sur les injustices, les droits bafoués ;
  • Agir afin de consolider la justice et la paix.

C’est une mission qui peut se vivre au niveau œcuménique et être ouverte à toute personne de bonne volonté (Paroles d’Évêque n°10 - année 1994).

19. Une pastorale de la vie

En cette année préparatoire au Jubilé de l’an 2000, année de l’esprit-Saint, notre Église du Congo s’engage (ou nous voulons engager notre Église du Congo) à une pastorale de la vie, de la régénération, fondée sur Jésus-Christ, notre Sauveur qui est la Vie. Avec Lui, il nous faut gagner la bataille de la paix, le combat de l’amour.

Nous vous rappelons que ce n’est pas seulement à la générosité de votre cœur que nous faisons appel mais aussi à votre création dans les circonstances concrètes de notre pays.

20. Une pastorale de l’ouverture et du dialogue.

Que toute notre action pastorale se vive dans l’ouverture œcuménique afin que le monde croie (Jean 17, 21).

21. Que notre Église soit aussi ouverte au dialogue avec les autres croyants, au nom de notre responsabilité commune à bâtir la paix dans l’amour mutuel, afin que le Congo vive !

LES ÉVÊQUES DU CONGO

1. Mgr. Barthélémy BATANTU, Archevêque de Brazzaville ;
2. Mgr. Anatole MILANDOU, Évêque de Kinkala, Président de la CEC. ;
3. Mgr. Bernard NSAYI, Évêque de Nkayi ;
4. Mgr. Ernest KOMBO, Évêque d’Owando ;
5. Mgr Hervé ITOUA, Évêque de Ouesso ;
6. Mgr. Jean-Claude MAKAYA, Évêque de Pointe-Noire.

 

 


 
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