CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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ENGAGEMENT POLITIQUE, NON-VIOLENCE, FRATERNITÉ.

vendredi 16 mars 2012

PAROLES D’ÉVÊQUE N°6
BRAZZAVILLE, LE 20 NOVEMBRE 1990

I. INTRODUCTION

Fidèles chrétiens de notre Église et hommes de bonne volonté,

Rappelons-nous ces paroles de l’Apôtre Paul aux Romains : « La création toute entière gémit et connaît des douleurs de l’enfantement jusqu’à ce jour ; et non seulement elle, mais nous-mêmes, nous gémissons intérieurement dans l’attente de l’adoption et du salut de notre corps » (cf. Rom 8, 22-23). Dans la situation très critique que traverse notre pays, il nous a paru opportun que vous sachiez, ce que pensent les Évêques du Congo de la conjoncture présente de crise politique, économique, culturelle et sociale.

Nous nous sommes efforcés de prendre notre temps pour observer attentivement de quel coté tournerait ce grand vent qui souffle des pays de l’Est et bouleverse de partout les structures politiques, économiques et socioculturelles.

Aujourd’hui, nous prenons donc l’initiative de vous faire part de nos réflexions, de nos préoccupations et des vœux que nous formons à la lumière de l’Évangile et de la tradition de l’Église, en vue de contribuer à une évolution pacifique de nos institutions vers un renouveau de la Démocratie, pour un développement réaliste de notre économie, de notre culture et de notre société.

Nous sommes convaincus que nos difficultés nationales présentes sont celles d’une étape de maturation qui conduira notre société toute entière vers le progrès, pour le bien de tous, à condition que nous puissions tous collaborer à la mise en œuvre des solutions raisonnables.

Tout en sachant gré à la Direction Politique de l’ère de paix et de plusieurs réalisations que notre pays a connues depuis plus d’une décennie et de la préoccupation qui l’habite de conduire le Congo vers une démocratie pluraliste, nous voudrions cependant vous sensibiliser d’abord sur notre passé récent, vous proposer ensuite les réflexions que suscite l’étape actuelle de renouveau et d’ouverture, et conclure enfin par un engagement politique et social pour l’avenir de notre pays.

II. CONSTAT D’UN PASSE RÉCENT

1. Politique et idéologie

Toute notre réflexion part d’une constatation. Il devenait chaque jour plus évident pour un nombre croissant de nos concitoyens qu’en République Populaire du Congo, le « pays légal » ne correspondait plus au « pays réel ». Dans le processus de l’histoire politique issue de la Révolution Congolaise, nous avons particulièrement déploré une chose : « le principe constitutionnel de la suprématie du Parti sur l’État ».

Le rôle dirigeant d’un parti unique implique, en fait, un régime de confusion des pouvoirs qui ne permet aucun contrôle démocratique de l’État. Une commission de contrôle et de vérification du parti ne peut remplir, de manière crédible, cette fonction démocratique essentielle dans laquelle elle se trouve à la fois juge et parti.

Voici ce que dit le Pape Jean Paul II à ce propos : « Il faut rappeler en outre qu’aucun groupe social, par exemple, un parti, n’a le droit d’usurper le rôle de guide unique, car cela comporte la destruction de la véritable personnalité de la société et des individus membres de la nation, comme cela se produit dans tout totalitarisme. Dans cette situation, l’homme et le peuple deviennent des objets, malgré toutes les déclarations contraires et les assurances verbales » (Sollicitudo rei socialis, n° 15).

Or, toute l’organisation des pouvoirs en République Populaire du Congo reposait jusque-là sur le principe, désormais caduc, selon lequel le pouvoir émanait du peuple à travers le parti unique marxiste-léniniste. Le pouvoir était en réalité confisqué par une minorité loin d’être représentative de tout le peuple, pour plusieurs raisons objectives. L’athéisme qui était officiellement prôné par le Parti Congolais du Travail (PCT) entrait en contradiction flagrante avec les convictions et les pratiques religieuses de la majorité des Congolais.

Nous avons souffert depuis plus de vingt-cinq ans, de ce que de très dignes citoyens de notre pays aient été tenus à l’écart de la table de concertation et de la direction des affaires de la nation, à cause de leurs convictions religieuses. Nous regrettons aussi que certains citoyens aient cru devoir hypocritement soumettre depuis des années leur esprit à un double langage, par opportunisme politique, refoulant au fond de leurs consciences des pensées pourtant fécondes qui ont cruellement manqué à notre dialogue national.

2. Perspectives nouvelles :

Ayant fait ce constat négatif du principe constitutionnel de la suprématie du parti unique sur l’État, et voyant jusqu’où il a conduit notre pays, on peut avouer que ce principe n’a plus aucune justification. Ceci n’est qu’un résumé des nombreuses défaillances que le système marxiste-léniniste avec son corollaire, le monopartisme, a entraîné comme résultat dans notre pays.

Le moment est venu de réviser les situations qui ne correspondent plus au contexte actuel du monde dû aux changements entrepris à l’Est et de donner des orientations d’un nouveau processus socio-politique et économico-culturel qui conduira le pays à l’ouverture démocratique.

En effet, depuis les déclarations du communiqué final de la deuxième session du Comité Central du Parti Congolais du Travail (PCT), tenue à Brazzaville du 29 juin au 4 juillet 1990 ; de la conférence de presse du Président de la République, le 7 juillet 1990 ; de son message du 14 août à la veille de la célébration du trentième anniversaire de la Révolution Congolaise ; de son message à la Nation, le 17 septembre 1990, suite à la grève générale ordonnée par la Direction de la Confédération Syndicale Congolaise (CSC) ; du communiqué final de la troisième session extraordinaire du Comité Central du Parti Congolais du Travail (PCT), le 30 septembre 1990 ; et de toutes les autres dernières déclarations de la Direction Politique, bien de choses ont été éclaircies et précisées. Dieu en soit loué !

A la lumière de toutes ces déclarations et du souci permanent que l’Église porte de par sa mission d’œuvrer pour le bonheur et le salut des peuples, nous pouvons désormais orienter nos réflexions dans le sens qu’il faut : l’ère de la démocratie et de la liberté est amorcée, la voie vers le multipartisme est ouverte. Nous nous en réjouissons.

Cependant, nous devons nous convaincre que le multipartisme ne résoudra pas tous les problèmes si les leaders de ces partis pratiquent des mensonges, des assassinats, des vols, de la délinquance, de la vengeance... Pour ne pas retomber dans les erreurs du passé que nous avons déplorées, il nous faut donc des hommes épris de justice et de paix, des hommes intègres, intelligents et sages, qui mettent au-dessus de leurs intérêts propres, les intérêts de la Nation. D’où nos préoccupations.

III. NOS PRÉOCCUPATIONS

1. Rappel du Message de Ouesso :

Ce que nous disions dans notre Message de Ouesso à l’issue de la 18ème Assemblée Plénière de la CEC d’avril dernier, commence à voir sa réalisation à travers la situation que notre pays traverse actuellement : « A chaque époque de l’histoire et au cœur des événements qui marquent la vie de chaque génération nouvelle, l’Église doit redécouvrir la manière concrète, significative et efficace dont elle doit accomplir sa mission de travailler au salut des peuples auxquels elle est envoyée, et leur annoncer la bonne nouvelle du salut et de la libération de tous les hommes en Jésus-Christ.

Nos sociétés et nos cultures doivent trouver en elles-mêmes le nouveau dynamisme qui leur est absolument indispensable pour se transformer de l’intérieur, en accueillant les innovations et les progrès qui s’imposent à tous les peuples de la terre. Tandis que nous avons le souci d’annoncer l’Évangile au cœur de nos réalités culturelles et sociales qui sont pour nous, les formes modernes de la démocratie, de l’état de droit, de l’initiative économique, de la communication et de la science. Nous sommes très conscients de ce que toutes ces transformations économiques, politiques et sociales ont une dimension culturelle, morale et spirituelle. Les chrétiens sont appelés à s’y engager avec toutes les richesses spirituelles, morales et intellectuelles, et tout le dynamisme qu’ils puisent dans leur vie en Église » (cf. Parole d’ Évêque, n° 5, p 13).

2. Aspiration à la démocratie effective :

Nous aspirons donc avec un grand nombre de nos concitoyens à un véritable processus de démocratisation de nos institutions politiques et de nos structures socioculturelles au Congo, susceptibles d’envisager la résolution non-violente de la crise profonde que traverse notre pays.

Nous sommes convaincus que notre pays ne peut pas rester en marge de la vie internationale et compromettre ses relations et sa réputation à l’extérieur, pour la simple raison de maintenir artificiellement des institutions politiques anachroniques et dépassées pour la réalité présente.

Nous sommes parfaitement aussi conscients de ce que l’on ne peut passer en un jour d’un régime de « confusion des pouvoirs » et de monopole d’un parti, à un régime démocratique d’initiatives politiques, économiques, culturelles et sociales. Nous voyons très clairement les problèmes complexes et spécifiquement congolais que pose une telle évolution, au niveau de la structuration du corps social, de l’expression du pluralisme politique, des spécificités régionales ou de l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs et de gestionnaires, dans le secteur public comme dans le secteur privé.

3. Nécessité de la Conférence Nationale :

Nous sommes acquis au concept de période transitoire préconisé par la Direction Politique. Encore faut-il que ce concept, comme plusieurs interlocuteurs l’ont déjà exprimé, soit élaboré dans une structure de véritable concertation nationale, à laquelle puissent participer les composantes de notre société qui pourront être identifiées et reconnues comme telles.

Ainsi que nous l’avons déclaré dans le document du Conseil Œcuménique des Églises Chrétiennes du Congo, cette période de transition devrait être gérée par un organe neutre de concertation, émanation de la « Conférence Nationale Souveraine », qui définirait les étapes de cheminement vers la démocratie pluraliste.

Il nous paraît tout à fait irrégulier et illusoire de laisser aux seules instances dirigeantes du Parti Congolais du Travail (PCT), le soin de prévoir, de conduire et de contrôler cette évolution. Car la démocratie véritable n’est pas octroyée par un pouvoir ; elle doit naître de la complexité réelle du corps social de la Nation.

Il nous paraît aussi nécessaire de laisser aux nouveaux partis politiques, assez de temps pour s’organiser et se doter de structures solides, avant de procéder à des élections libres à tous les niveaux, et pour que les chrétiens ou d’autres croyants aient la possibilité de choisir le parti qui correspond à leurs convictions religieuses, et qui sauvegarde les intérêts majeurs de la Nation et les droits légitimes des citoyens.

IV. PROPOSITIONS

Voici de manière concrète, ce que nous, Évêques du Congo, proposons à vous chrétiens et chrétiennes de notre Église, et à tous les hommes de bonne volonté :

1. La prière :

Nous vous invitons tout d’abord à une prière fervente, confiante et incessante à l’intention de notre pays, et particulièrement aux intentions de ses dirigeants, à quelque niveau que ce soit, afin qu’ils aient le souci de travailler chaque jour et à tout instant, non pas seulement pour leur propre compte, mais pour le noble intérêt de toute la Nation.

Cette prière nous est d’ailleurs recommandée par Saint-Paul : « Je recommande donc avant tout, qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous puissions mener une vie calme et paisible en toute piété et dignité » (1Tim 2,1-2). Nous devons également prier pour nous-mêmes, afin que plongés dans cette mentalité pervertie, nous puissions nous convertir au sens du partage équitable du bien commun : «  Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui Lui plaît, ce qui est parfait » (Rom 12, 2).

2. Construire le pays :

Nous invitons les chrétiens et chrétiennes de notre Église, à bâtir courageusement notre beau pays qui se détériore si l’on continue à se croiser les bras pour attendre on ne sait quel miracle.

Il ne faut pourtant pas bâtir vaille que vaille. L’Église assoie l’édification de notre pays sur les principes d’amour fraternel, de bénévolat engagé, de conscience professionnelle, de disponibilité, d’esprit de service même parfois gratuit, pour un partage équitable du bien commun.

La prière que nous adressons chaque jour au Seigneur serait stérile si elle ne débouchait pas à la charité fraternelle. Et c’est cette charité fraternelle qui, placé sur le plan social, a poussée l’Église à bâtir une doctrine sociale depuis le Pape Léon XIII. C’est, forts de cet enseignement social de l’Église, que nous vous demandons à vous chrétiens et chrétiennes de notre pays de mettre vos compétences, vos énergies et votre bonne volonté au service de notre société congolaise.

a) - L’économie

Au sujet de l’économie, nous n’ignorons pas l’environnement actuel de crise que nous vivons. Voila pourquoi dans notre Message de Ouesso, au mois d’avril dernier nous disions : « Prendre aujourd’hui dans notre pays, une initiative économique porteuse d’espoirs, exige que se lèvent des hommes et des femmes conscients des enjeux sociaux et spirituels du développement économique, et prêts à affronter toutes sortes de difficultés et d’épreuves. L’argent et les compétences ne suffisent pas, il faudra investir dans notre développement économique et social, beaucoup de générosité, d’honnêteté et d’espérance véritable » (Parole d’ Évêque n° 5, p 10-11).

b) - L’enseignement

La nationalisation des écoles, en 1965, n’a pas donné les fruits escomptés. La dégradation généralisée du système de l’enseignement et l’exode des enfants dont les parents ont la possibilité de leur payer les études, même primaires, dans des pays étrangers, en est la preuve évidente. Aucun n’est heureux de cette situation.

A ce propos les grandes assises nationales n’ont pas malheureusement permis une véritable confrontation de différents points de vue et ont raté, en conséquence, des décisions vraiment salutaires.

L’ouverture des structures de l’enseignement aux initiatives privées vient d’être votée par l’Assemblée Nationale Populaire sans qu’aucune concertation n’ait été organisée à ce sujet avec les milieux effectivement concernés tels que les parents et les Confessions Religieuses dont les écoles avaient été nationalisées il y a vingt-cinq ans sans aucune indemnisation.

Devant cette situation de notre système éducatif qui tourne au drame, que devront faire les fidèles laïcs ? Une loi permet maintenant l’ouverture des écoles privées. Même si cette loi perd de beaucoup sa pertinence par manque de concertation véritable préalable, ne pourriez-vous pas vous organiser en association pour créer des écoles où régneraient la bonne discipline et l’esprit de travail ?

Quant à nous, Évêques, nous attendons qu’un dialogue s’instaure avec l’État pour nous préciser les conditions dans lesquelles nous pourrions nous engager afin de sauvegarder l’esprit de nos écoles qui est d’accueillir les enfants de toutes conditions, et particulièrement les pauvres. C’est dans ce but qu’ont été créées toutes nos écoles, parmi lesquelles les collèges Chaminade, Javouheh et Champagnat de Makoua, qui ont formé tant de cadres valables en Afrique Centrale.

c) - La santé

Un secteur particulièrement sensible et douloureux est celui de notre système de santé dont la dégradation suscite de très vives préoccupations, au sein de notre peuple. L’inquiétude à ce sujet est grande et proche du désespoir.

La situation actuelle ne permet plus aux pauvres, d’avoir accès dans des conditions satisfaisantes, au système de santé moderne. Les pratiques traditionnelles se perpétuent en évoluant hors de tout contrôle, dans le sens d’une recrudescence de la superstition, du charlatanisme et leur corollaire, la sorcellerie. En ce qui concerne l’Église, nous avons lancé depuis 1982, les Groupes Évangile et Santé (GES), pour essayer d’améliorer au moins l’esprit et la conscience professionnelle des agents chrétiens de la santé ; mais leur apport semble insuffisant. Il faudrait donc le concours de tous les croyants et hommes de bonne volonté en milieu médical pour mieux répondre à cette urgence.

d) – Le bénévolat

Devant la misère sans cesse croissante, beaucoup de personnes se sont lancées dans le bénévolat pour voler au secours des pauvres. Nous encourageons ce type d’initiatives inspirées par le Dieu de miséricorde : « Heureux les miséricordieux, Us obtiendront miséricorde » (Mt 5,7). Le Pape Jean-Paul II aussi soutient personnellement l’engagement bénévole dans la société :

« Bien vécu dans sa vérité de service désintéressé en faveur des personnes, spécialement des plus nécessiteuses et des plus négligées par les services sociaux eux-mêmes, le bénévolat doit être considéré comme une expression importante d’Apostolat où des fidèles laïcs, hommes et femmes, ont un rôle de premier plan » (Christifideles laici, n° 42).

Au moment où notre pays a besoin de l’énergie de tous ses fils pour sortir du naufrage de la crise, ce serait dommage que certaines personnes veuillent encore briser l’enthousiasme des hommes de bonne volonté qui se lèvent enfin pour participer à la construction d’un Congo nouveau.

L’énergie qui mobilise les chrétiens pour construire le pays n’est pas un vague sentiment de patriotisme, mais la force même du Christ ressuscité qui nous donne de réaliser l’appel de Dieu à soumettre la terre (cf. Gn. 1, 26). Se décourager ou rester indifférent devant le mal qui empire, se croiser les bras et assister impuissant devant la dégradation de plus en plus grave du pays, n’est absolument pas chrétien.

3. Obstacles à écarter pour un développement harmonieux :

Une société ne peut évoluer si elle ne sait pas se débarrasser de toutes ses mauvaises racines et de ses mauvais penchants favorables à la pollution, au blocage et à la stérilisation comme la malhonnêteté, le mensonge, la paresse systématique, la nonchalance, le manque de conscience professionnelle, le manque de respect pour l’autre, le tribalisme, l’injustice sociale, la corruption étalée au grand jour, la légèreté des mœurs, les infidélités conjugales, la polygamie et les divorces banalisés... Que les fidèles laïcs sachent que la fidélité dans le mariage par exemple est une participation importante au développement du pays qui a besoin de cellules familiales stables pour se stabiliser lui-même.

4. Le respect de la personne humaine :

S’il y a un principe moral essentiel qui doit régir la coexistence sociale dans notre pays, c’est celui du respect de l’autre en tant que personne humaine. « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la loi et les Prophètes  » nous dit le Christ (Mt 7, 12).

Ce respect de la personne humaine englobe tout le parcours de la vie d’un homme, c’est-à-dire depuis sa conception dans le sein maternel jusqu’à sa mort. C’est pour cela que nous déplorons et nous qualifions comme comportements antipatriotiques la pratique de l’avortement, ainsi que les mauvais traitements infligés aux personnes âgées.

La pratique généralisée de l’avortement est un coup mortel porté à la source vitale du renouvellement humain de notre pays. Négliger, marginaliser les anciens ou porter atteinte à leur dignité, c’est construire une société sans sagesse, car chacun d’eux est une bibliothèque vivante inestimable d’expérience. Dans le cadre du respect de la personne, les chrétiens doivent aussi être les premiers à respecter la femme créée comme compagne de l’homme. Nous déplorons donc cette pratique avilissante de l’étalage pornographique qui réduit la femme au simple rang d’objet de plaisir.

Nous encourageons aussi les personnes de bonne volonté à approfondir le concept congolais de « kimuntu », « bomoto » qui rassemble, pour ainsi dire, le meilleur de notre sagesse africaine pour définir les qualités d’une personne équilibrée, sage, sociale, mûre, respectueuse, pacifique, patiente et accomplie, tel que le veut notre peuple, en soif de progrès et d’humanisme.

5. Le chrétien et la politique :

« Si tu ne t’occupes pas de la politique, dit un adage populaire, la politique s’occupera de toi ». Même si l’Église entant qu’institution, n’a pas compétence directe en matière politique, le chrétien par contre, en tant que citoyen à part entière de son pays, ne peut vivre en marge du monde politique. Voici d’ailleurs ce que nous dit à ce propos le Pape Jean-Paul II dans son exhortation apostolique aux laïcs :

« Pour une animation chrétienne de l’ordre temporel, dans le sens que nous avons dit, qui est celui de servir la personne et la société, les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la politique, à savoir à l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun » (Christifideles Laici, n° 42). Ainsi « les accusations d’arrivisme, poursuit Jean-Paul II, d’idolâtrie du pouvoir, d’égoïsme et de corruption qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l’opinion assez répandue que la politique est nécessairement un Heu de danger moral, tout cela ne justifie pas le moins du monde ni le scepticisme, ni l’absentéisme des chrétiens pour la chose publique (...). La raison fondamentale qui doit pousser les chrétiens à s’intéresser au monde politique et social n’est rien d’autre que la charité fraternelle vécue à la dimension de la nation et comprise comme la poursuite du bien commun (...) Il faut donc qu’émergent des hommes intègres et décidés qui se sacrifient pour freiner les abus de l’action politique et promouvoir la poursuite du bien commun, en tant que bien de tous les hommes et bien de tout homme, bien offert et garanti à l’accueil libre et responsable des personnes individuellement ou en association » (Christifideles Laici, n° 42).

Les problèmes auxquels nous sommes maintenant confrontés sont si graves et urgents que nous devons nous organiser. Les chrétiens sont dès lors invités à créer des lieux de réflexion et de concertation, pour essayer de diagnostiquer sérieusement les problèmes de l’heure et trouver, si possible, des esquisses de solutions capables d’y remédier. «  Aide-toi, et le ciel t’aidera  », dit un adage populaire.

a) - Les Associations des Fidèles Laïcs

A propos des associations, les directives de l’Église sont très claires : « Il faut avant tout, dit le Pape Jean-Paul II, reconnaître la liberté d’association des fidèles laïcs », rappelant ce que le Concile Vatican II avait déjà déclaré en ces termes : « Le lien nécessaire avec l’autorité ecclésiastique étant assuré, les laïcs ont le droit de fonder des associations, de les diriger et d’adhérer à celles qui existent » (Christifideles Laici, n° 29). C’est ce qu’affirme encore le Droit Canon : « Les fidèles ont le droit de fonder et de diriger librement des associations de charité ou de piété, ou qui proposent de travailler à l’extension de la vocation chrétienne dans le monde ; ils ont aussi le droit de tenir des réunions afin de poursuivre ensemble ces mêmes fins » (Can. 215).

Ces déclarations ecclésiastiques sont heureusement conformes à l’article 16 de ce qu’on appellera bientôt « l’ancienne constitution » de la République Populaire du Congo : « Les citoyens de la République Populaire du Congo jouissent de la liberté d’expression, de presse, d’association, de cortège et de manifestation dans les conditions déterminées parla loi » (Titre II, art. 16).

Nous avons toujours joui, tout au moins partiellement, de cette liberté depuis la Révolution Congolaise pour nos associations chrétiennes à caractère apolitique, sauf pour nos associations d’enfants et de jeunes qui avaient été nationalisées. Espérons qu’avec le renouveau démocratique pluraliste, elles pourront renaître sous des anciennes ou nouvelles formes.

Il faut conclure que toutes les associations de fidèles ont pour but principal de « participer de façon responsable à la mission de l’Église, qui est de porter L’Évangile du Christ comme source d’espérance pour l’homme et de renouveau pour la société » (Christifideles Laici, n° 29).

Nous exhortons donc les fidèles laïcs à faire usage de leur droit de créer les associations ou d’adhérer à celles qui existent (cf. Can. 298). Mais « aucune association ne prendra le nom de « Catholique » sans le consentement de l’autorité ecclésiastique compétente » (cf. CC. 312 + 300).

b) - Les partis politiques

« Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l’ordre temporel. Éclairés par la lumière de l’Évangile, conduite par l’Esprit de l’Église, enracinés par la charité chrétienne, ils doivent en ce domaine agir par eux-mêmes d’une manière bien déterminée. Membres de la cité, Us ont à coopérer avec les autres citoyens suivant leur compétence particulière en assumant leur propre responsabilité » (A. L. Il, 7).

Le multipartisme démocratique vient d’être proclamé dans notre pays par la Direction Politique (Communiqué final de la 3ème session du Comité Centrai du Parti Congolais du Travail, 28-30 septembre 1990). En référence au texte de Vatican II cité ci-dessus, les fidèles laïcs, comme tous les autres Congolais ont le droit, en tant que citoyens de ce pays, d’adhérer à des partis politiques de leur choix.

S’il ne s’en trouvait pas un qui puisse satisfaire leurs convictions religieuses et sauvegarder les intérêts majeurs de la Nation ou les droits légitimes des citoyens, ils peuvent, unis à d’autres croyants et hommes de bonne volonté, créer leurs partis pour participer effectivement à l’action politique.

Comme le suggère le texte de Vatican II cité ci-dessus, ce parti formé par des chrétiens laïcs en toute responsabilité, ne saurait être un mouvement ou un parti de l’Église. Car « l’Église (...), en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique, et n’est liée à aucun système politique » (G. S. 76, Parag. 2).

Cependant, elle tient en grande considération et estime ceux qui se consacrent au bien de la chose publique, et en assument les charges pour le service de tous. D’où, les chrétiens laïcs engagés dans la politique « pourront être accompagnés et aidés par les communautés chrétiennes et leurs Pasteurs » (Christifideles Laici, n° 42). Tout cela ne signifie nullement que chaque chrétien ou citoyen est obligé d’adhérer à un parti. Car il y a bien d’autres manières de participer à la vie politique ou d’accomplir ses devoirs civiques.

7. L’avenir des générations nouvelles :

Les vagues des générations nouvelles qui déferlent chaque année dans les écoles et les lieux de travail doivent nous interpeller de façon particulière. Quel milieu de vie avons-nous préparé pour les jeunes et les enfants ? Dans cette société congolaise que nous voulons bâtir ensemble, où se trouve le berceau de l’enfant congolais ? Où sont les postes de travail ? Les lieux de loisirs et de sports ? Les ateliers d’apprentissages ? Quel est l’avenir de cette jeunesse en uniforme qui déferle des écoles durant l’année scolaire ? Que devrions-nous faire pour arrêter cette moralité vertigineuse d’enfants et de jeunes qui nous inquiète tant ? Quelles garanties nous leur donnons pour un avenir épanouissant ?

Les discours creux nous donnent l’illusion d’avoir réalisé quelque chose pour le simple fait d’en avoir parlé fiévreusement et longuement : nous nous trompons lourdement. Quel héritage laissons-nous aux générations à venir ? Cette question doit nous habiter tout au long de notre vie.

8. La non-violence :

Le Christ nous a enseigné une béatitude inoubliable, celle de la paix : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt. 5, 9). Au moment où notre pays s’apprête à revivre l’expérience des partis politiques, nous Évêques congolais, invitons à œuvrer dans la paix et la non-violence. Les exemples malheureux des pays qui ont essayé de régler leurs problèmes par la violence ne peuvent que nous instruire. Aurions-nous oublié cette recommandation du Cardinal Émile BIAYENDA quelques heures avant sa mort : « A tous nos frères croyants, du Nord, du Centre et du Sud, nous demandons beaucoup de calme, de fraternité et de confiance en Dieu, Père de toutes races et de toutes tribus, afin qu’aucun geste déraisonnable ne puisse compromettre un climat de paix que nous souhaitons tous ».

Nous avons d’ailleurs déjà fait preuve de maturité et de tolérance digne d’éloge au niveau de l’esprit sportif des « supporters » des différents clubs de football de notre pays. Si cet esprit de tolérance sportive s’appliquait également à la tolérance d’autres sensibilités, politiques par exemple, le Congo n’en sortirait que grandi.

9. La fraternité :

Les chrétiens et chrétiennes de notre pays doivent d’ailleurs se rappeler que le Christ est venu nous révéler que nous sommes tous frères, parce qu’enfants d’un seul Père, le Père qui est aux Cieux. C’est ce que rappelaient les Évêques du Congo dans leur Lettre de Carême 1972 intitulée « Le chrétien dans la communauté nationale » : « Le Christ nous demande de considérer tout homme comme notre frère. Cette fraternité, nous devons d’abord la vivre dans notre grande famille nationale. La justice et l’amour chrétien nous interdisent toute discrimination raciale, culturelle, professionnelle ou régionaliste ».

Dans une famille tous sont traités selon les mêmes droits et tous s’engagent dans l’effort commun. Or, notre famille est maintenant à l’échelle de la nation. Dans ce domaine le chrétien doit montrer qu’il a compris l’enseignement de Jésus ; « On vous reconnaîtra pour mes disciples à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn. 13, 35) ; (cf. Pais mes agneaux, p. 83).

Nous avons dès lors à prier le Seigneur afin que les chrétiens, les croyants et les hommes de bonne volonté considèrent les différences de race non pas comme des occasions de conflits, mais comme des sources de richesse dans la conviction que chaque ethnie et chaque race de notre pays a sa note à apporter dans le concert de la Nation.

10. L’unité nationale :

« Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi... » (Jn. 17, 21). L’unité dans l’amour mutuel que le Christ nous invite à vivre, est la conséquence de la communion qui unit le Père et le Fils. « C’est lui qui nous révèle que ”Dieu est charité” (Jn. 4, 8) et qui nous enseigne, en même temps, que la loi fondamentale de perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de l’amour. A ceux qui croient à la divine charité, H apporte ainsi la certitude que la voie de l’amour est ouverte à tous les hommes et que l’effort qui tend à instaurer une fraternité universelle n’est pas vain » (G. S. 38, Parag. 1).

De cette loi de l’amour du prochain, le Christ a fait son commandement personnel : «  Aimez-vous les uns les autres  » (Mt. 25, 40). Il l’a enrichi d’un sens nouveau quand Il s’identifie aux hommes comme à ses frères. Les frères ne sont pas seulement les membres de sa famille, les chrétiens de sa paroisse ou de sa communauté, mais toute personne, croyants ou non. La charité devient le signe par lequel on reconnaît le chrétien, et le lieu de l’édification de l’unité nationale, au-delà des diversités ethniques ou régionales, à l’exemple du corps humain (cf. 1 Cor. 12, 12-31). L’unité chrétienne n’est pas synonyme d’uniformité. Elle est plutôt une harmonieuse diversité ; car la diversité est source de richesse.

S’aimer les uns les autres, c’est vivre l’unité dans la diversité des hommes de toutes races, de toutes tribus, de toutes langues, de toutes régions et de toutes conditions. Nous exhortons donc tous les fidèles chrétiens à s’efforcer de réaliser entre eux et autour d’eux, cet idéal de « l’unité dans la diversité », pour que notre pays, le Congo, puisse vivre un renouveau démocratique dans la paix des cœurs et des esprits, dans la fraternité et le bonheur.

CONCLUSION

Prêts à contribuer dans la faible mesure de nos possibilités et les limites de nos compétences à tout processus qui irait dans le sens d’une telle évolution pacifique vers la Démocratie, nous pensons avoir accompli un devoir civique en vous tenant informés, chers fidèles, des pensées et des résolutions qui sont les nôtres dans la conjoncture actuelle.

L’Église ne voulant pas se définir comme un État dans un État en République du Congo, c’est à tous nos fidèles chrétiens laïcs et à nos compatriotes que nous avons fait connaître et partager nos réflexions sur la situation préoccupante de notre pays, afin que partout où il se trouve, chacun ait la bonne volonté d’apporter sa pierre à la grande restauration de la nation. Nous vous invitons tous à y participer activement et effectivement, mais sans jamais compromettre ni votre foi ni les intérêts majeurs de l’Église et de la Nation.

Donné à Brazzaville, le 20 novembre 1990 À L’OCCASION DU TOURNANT DÉMOCRATIQUE

 

LES ÉVÊQUES DU CONGO

1. Mgr. Barthélémy BATANTU, Archevêque de Brazzaville, Président de la CEC. ;
2. Mgr. Georges-Firmin SINGHA, Évêque de Pointe-Noire ;
3. Mgr. Ernest KOMBO, Évêque d’Owando ;
4. Mgr. Hervé ITOUA, Évêque de Ouesso ;
5. Mgr. Anatole MILANDOU, Évêque de Kinkala ;
6. Mgr. Bernard NSAYl, Évêque de Nkayi.

 

 


 
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