MESSAGE DES ÉVÊQUES DE L’ACERAC A L’OCCASION DE LA XIème ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE TENUE A YAOUNDE DU 08 AU 16 JUILLET 2017
lundi 24 juillet 2017
MESSAGE
DES ÉVÊQUES DE L’ASSOCIATION DES CONFÉRENCES ÉPISCOPALES DE LA RÉGION DE L’AFRIQUE CENTRALE (ACERAC) A L’OCCASION DE LA XIème ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE TENUE A YAOUNDÉ DU 08 AU 16 JUILLET 2017
A l’Église famille de Dieu qui est en Afrique centrale et à toutes les personnes de bonne volonté,
Paix et Grâce de la part du Seigneur !
1. Nous, Évêques de l’Association des Conférences Épiscopales de la Région de l’Afrique Centrale, réunis dans le cadre de notre XIème Assemblée Plénière, vous adressons ce message. Nous réaffirmons que « l’évangélisation implique aussi un chemin du dialogue » (Evangelii Gaudium, n° 238), dialogue entre nous-mêmes au sein de l’Église, entre l’Église et les confessions chrétiennes, entre l’Église et les autres religions.
Nous avons réfléchi sur la nécessité de l’œcuménisme et l’importance du dialogue interreligieux en Afrique centrale. Nous soulignons que c’est une urgence pastorale pour nous : nous engager davantage sur le chemin du dialogue.
Des situations différentes
2. Dans notre Sous-région, la pratique de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux se vit différemment. Dans certains pays, le dialogue interreligieux est plus avancé que le dialogue œcuménique ; dans d’autres, c’est le dialogue œcuménique qui prévaut ; dans d’autres encore, l’expérience en est à ses débuts.
3. Quoiqu’il en soit, le dialogue demeure indispensable dans les rapports entre l’Église Catholique et les autres religions et mérite d’être pris en considération. C’est ce que rappelle le Pape Émérite Benoît XVI à l’Église Catholique en ces termes : « Dès lors, il importe que l’Église promeuve le dialogue comme attitude spirituelle, afin que les croyants apprennent à travailler ensemble » (Africae Munus n° 88). Autrement dit, le dialogue n’est ni optionnel, ni facultatif. C’est une nécessité !
La réalité sociale, telle qu’elle se présente aujourd’hui dans notre région montre que celle-ci est devenue un théâtre de violences récurrentes entre les hommes. Certains, prétendant agir au nom de Dieu, pillent, violent, brûlent, tuent… C’est le cas de Boko Haram qui, dans le Bassin du Lac Tchad et au Nord-Cameroun, sème la terreur et la mort. Nous rappelons également le drame de la Centrafrique où des groupes, comme Seleka et Anti-balaka, font croire aux observateurs qu’il s’agit d’une guerre des religions, entre musulmans et chrétiens.
À côté de tout cela, nous avons parlé de nos frères chrétiens catholiques africains qui sont encore marqués par l’influence des Religions Traditionnelles Africaines, surtout dans les moments fondamentaux de leur vie comme : la naissance, le mariage, le deuil, la confrontation avec la réussite sociale. Soulignant leur impact dans la vie de nos fidèles, le Pape Benoît XVI fait remarquer que « ces religions constituent le terreau culturel et spirituel d’où viennent la plupart des chrétiens convertis et avec lequel ils gardent un contact quotidien » (AM n° 92). Si nous ressentons la nécessité d’entrer en dialogue avec les adeptes de ces religions, la rareté d’interlocuteurs officiels constitue cependant un obstacle réel.
Face à cette situation, qui nous interpelle tous, il est important de chercher des voies et moyens de la rencontre en vue d’un vivre-ensemble pacifique et harmonieux.
Œcuménisme et Dialogue Interreligieux : un impératif pastoral pour l’Église
4. Vivre dans l’Église qui est communion et unité, c’est réapprendre le sens profond de celle-ci, en tant que famille unie et fondée dans l’amour (cf. Jn 13, 35), communauté de frères et sœurs, laquelle trouve aujourd’hui une corporéité réelle dans les communautés ecclésiales vivantes, en droite ligne avec l’esprit des communautés primitives.
Depuis le Concile Vatican II, dont les documents fondamentaux exposent la doctrine sur l’œcuménisme et le dialogue interreligieux, particulièrement le Décret sur l’Œcuménisme (Unitatis Redintegratio, 1964), et la Déclaration sur l’Église et les Religions non chrétiennes (Nostra Aetate, 1965), le Magistère universel de l’Église ne cesse d’exhorter au dialogue avec les autres confessions chrétiennes et avec les religions non chrétiennes. Cette mission a été particulièrement confiée à deux importants dicastères : le Conseil Pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens et le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux.
Voilà pourquoi, le Saint Pape Jean-Paul II, au milieu des années 1990, invitait les diocèses et toutes les congrégations religieuses à créer en leur sein les deux commissions du dialogue. Il affirmait : « Unis au Christ dans leur témoignage, en Afrique, les catholiques sont invités à développer un dialogue œcuménique avec tous les frères baptisés des autres confessions chrétiennes, afin qu’advienne l’unité pour laquelle le Christ a prié et qu’ainsi leur service des populations du Continent rende l’Évangile plus crédible aux yeux de ceux et celles qui cherchent Dieu » (Ecclésia in Africa, n° 65). « Que tous soient UN » (Jn 17, 21), enseignait le Christ lui-même.
Autour du dialogue interreligieux, le saint Pape pense que « cet effort de dialogue se doit d’embrasser également les musulmans de bonne volonté. Les chrétiens ne sauraient oublier que beaucoup de musulmans entendent imiter la foi d’Abraham et vivre les exigences du Décalogue » (Ecclésia in Africa, n° 66).
Pour le Pape Benoît XVI, les chrétiens et les adeptes des autres religions doivent œuvrer en communion pour défendre la paix et la justice, et promouvoir la réconciliation en bannissant toutes formes de discrimination, d’intolérance et de fondamentalisme confessionnel. (cf. Africae Munus, nn 89-94).
Au début de son Pontificat, le Pape François, faisant suite au synode sur la Nouvelle Évangélisation, a donné avec clarté sa conception du dialogue interreligieux qu’il considère comme « une condition nécessaire pour la paix dans le monde et par conséquent un devoir pour les chrétiens comme pour tous les autres croyants » (Evangelii Gaudium, n° 249).
Enjeux et défis de l’Œcuménisme du Dialogue Interreligieux en Afrique Centrale
Des écueils multiples dans la longue marche de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux sont visibles. Ceux-ci sont dus à plusieurs facteurs.
Les défis
5. Le phénomène de radicalisation, souvent constaté dans l’Islam, constitue un obstacle au dialogue islamo-chrétien à cause de la montée des fondamentalismes et des intolérances qui en découlent.
Le manque de respect de la différence et le mépris de l’autre sont des défis à vaincre.
À cela s’ajoute le chômage grandissant des jeunes qui se révèle être un facteur de recrutement pour les groupes extrémistes et un facteur d’émigration, qui s’avère parfois dangereux.
Par ailleurs, le syncrétisme et le relativisme religieux vécus et observés par certains fidèles chrétiens mettent en cause la solidité et la maturité de leur foi, démontrant ainsi une double appartenance à éviter.
Enjeux
« Mon peuple périt, faute de connaissance » (Osée 4,6)
6. Nous estimons que pour construire le dialogue, des préalables s’imposent. Le fidèle est tenu d’approfondir sa foi par la lecture assidue des Saintes Écritures et une vie réelle de témoignage qui met en évidence l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Celui-ci se vérifie, dans le cadre du dialogue, par l’esprit d’ouverture à l’autre, le respect de sa dignité et le respect de la différence.
Ceci implique la nécessité de la formation à l’esprit de discernement, de prudence et de vigilance dans le champ du dialogue œcuménique et du dialogue interreligieux. En plus de cela, il est impérieux de faire une expérience personnelle de rencontre avec Dieu dans la prière : un chrétien qui dialogue est un homme qui prie.
Face aux Religions Traditionnelles Africaines, nous reconnaissons leur impact socio-culturel sur la vie des fidèles chrétiens. Cependant, nous demeurons limités dans notre volonté de les rencontrer, à cause des difficultés d’identification des interlocuteurs officiels.
7. Les défis sont énormes et multiples, nous l’avons reconnu. Nous encourageons nos États à poursuivre la lutte contre les extrémismes qui suscitent des comportements légitimés faussement au nom du principe de la liberté religieuse. Car, le dialogue, pour être efficace, requiert la prise en compte du respect de l’altérité et du Bien commun, en vue de garantir les emplois aux jeunes et la sécurité à tous sans discrimination d’appartenance religieuse. Le vivre ensemble en dépend aussi.
Recommandations et résolutions pastorales
8. Nous, Évêques de l’Afrique Centrale, réaffirmons la nécessité des croyants de toutes les religions du monde présentes dans notre région à ouvrir aujourd’hui leurs cœurs au dialogue qui est une exigence, un appel urgent à la paix, à la justice, au vivre ensemble pour notre monde. Ne sommes-nous pas tous fils du Dieu unique qui nous a créés à son image et selon sa ressemblance ? (cf. Gn 1, 27)
C’est pourquoi, pour nous chrétiens catholiques, entrer en dialogue avec l’autre, le rencontrer, vivre en paix avec lui, font partie de la mission urgente reçue du Christ. Cette mission urgente ne peut être efficiente que par le renouvellement de l’Église aujourd’hui, sa vie de communion, la redécouverte des lieux de la nouvelle évangélisation et le retour à Jésus-Christ par le chemin de la conversion.
Nous reconnaissons, dans le contexte actuel, que l’œcuménisme et le dialogue interreligieux constituent des lieux propices de la Nouvelle Évangélisation. À cet effet, nous recommandons ce qui suit :
a) Une réelle recherche de l’unité avec les autres confessions chrétiennes
La célébration de la Semaine de prières pour l’unité des chrétiens et la promotion des œuvres communes autour de la Parole de Dieu, par exemple des traductions bibliques en langues locales sont des initiatives à encourager.
b) Une attention pastorale aux autres religions
S’agissant des musulmans, il faut distinguer entre les groupes modérés et les groupes intégristes-extrémistes, à l’instar de Boko-Haram, pour un dialogue utile et fructueux. A ce propos, des projets de collaboration et de formation autour des intérêts communs sont à privilégier : éducation à la paix et à la culture de la paix, promotion des valeurs éthiques (dignité humaine et respect de la vie, etc.). La formation d’experts chrétiens en Islamologie est fondamentale pour mieux comprendre le monde musulman.
Reconnaissant le caractère positif de la croyance en un Dieu suprême dans les Religions Traditionnelles Africaines, la formation d’experts est urgente et fortement souhaitée pour cerner les valeurs qu’elles renferment.
c) Pour les Nouveaux Mouvements Religieux
Une attitude de compréhension est requise à partir de leur doctrine et de l’identification de leurs fondateurs.
Résolutions
9. Face aux exigences du dialogue, nous envisageons de :
a) Intensifier l’éducation au pluralisme religieux pour lutter contre l’ignorance ;
b) Intégrer dans les divers parcours catéchétiques l’enseignement sur l’œcuménisme et le dialogue interreligieux ;
c) Promouvoir et renforcer dans les Facultés de Théologie et les Grands Séminaires l’enseignement sur le dialogue œcuménique et le dialogue interreligieux ;
d) Créer des structures de dialogue au niveau de chaque diocèse, de chaque pays et de la sous-région ;
e) Organiser, dans les diocèses et les différentes Conférences Épiscopales Nationales, des sessions d’échanges annuelles sur l’œcuménisme et le dialogue interreligieux, afin de relever les défis communs.
10. En définitive, sur ce chemin de la rencontre, nous exhortons la famille de Dieu qui est en Afrique Centrale à tout mettre en œuvre pour préserver la paix et le dialogue en vue de promouvoir une croissance mutuelle et une société paisible sous la protection maternelle de la Sainte Vierge Marie, Notre Dame d’Afrique et Mater Ecclesiae !
S.E. Mgr Samuel KLEDA,
Président